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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

faire de l’eau, & lá rompit ſes lettres plus menu qu’il luy fut poſſible, & les ietta derriere vne porte. Sur l’heure il fut pris & cherché de tous coſtez, & quand on ne luy trouua rien, on l’interrogea par ſerment s’il n’auoit porté nulles lettres, luy gardãt toutes les rigueurs & perſuaſions qu’il fut poſsible pour luy faire confeſſer la verité, mais pour promeſſes ou menaces qu’on luy feiſt iamais ne ſceurẽt tirer autre choſe. Le rapport en fut faict à la Royne, mais quelqu’vn de la cõpaignie s’aduiſa qu’il eſtoit bon de regarder derriere la porte pres de laquelle lon l’auoit pris : ce qui fut faict, & trouua lon ce que lon cherchoit, c’eſtoiẽt les pieces des lettres. On enuoya querir le confeſſeur du Roy, lequel apres les auoit aſemblées ſur vne table, leut la lettre tout du long, ou la verité du mariage tant diſsimulé ſe trouva clerement : car le baſtard ne l’appelloit que ſa femme. La Royne, qui n’auoit deliberé de couurir la faulte de ſon prochain (comme elle deuoit) en feit vn treſgrand bruit, & cõmanda que par tous moyens on feiſt confeſſer au pauure homme la verité de ceſte lettre, & qu’en luy monſtrant il ne la pourroit renier : mais quelque choſe qu’on luy dift ou qu’on luy mõſtraſt, il ne changea ſon propos premier. Ceux qui en auoient la charge, le menerent au bord de la riuiere, & le meirent dans vn ſac, diſans qu’il mentoit à Dieu & à la Royne, contre la verité prouuée. Luy, qui aimoit mieux perdre la vie, que d’accuſer ſon maiſtre, leur demanda vn confeſſeur, & apres auoir faict de ſa conſcience le mieux qu’il luy fut poſsible, leur diſt : Meſſieurs, dictes à monſieur mon maiſtre le baſtard, que ie luy recommande la vie de ma femme & de mes enfans : car de bon cueur ie mects la mienne pour ſon ſeruice, & faictes de moy ce qu’il vous plaira, car vous n’en tirerez iamais parolle qui ſoit contre mon maiſtre. A l’heure pour luy faire plus grand peur le getterent dedans le ſac en l’eau, luy crians : ſi tu veux dire verité tu feras ſaulué : mais voyans qu’il ne leur reſpondoit rien, le retirerent de lá, & en feirent le rapport à la Royne de ſa conſtance, qui diſt à l’heuure, que le Roy ſon mary ny elle, n’eſtoiẽt point ſi heureux en ſeruiteurs, qu’vn qui n’auoit de quoy les recompenſer : & feiſt ce qu’elle peut pour le retirer à ſon ſeruice, mais iamais ne voulut abandonner ſon maiſtre. Touteſfois par le congé de ſondict maiſtre fut mis au ſeruice de la

Royne,