Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/181

Cette page a été validée par deux contributeurs.
82
DE LA ROYNE DE NAVARRE.

defenſe de ſa maiſtreſſe, elle n’y auoit point parlé, quelque choſe que lon diſt, & qu’elle en ſceut la verité tãt de ſes cõpaignes des ſeruiteurs : & quant à la feneſtre dont elle parloit, elle n’y auoit point parlé au baſtard : lequel craignant que ſon affaire fuſt reuellé s’eſlongna du danger, & fut long temps ſans reuenir à la court, mais non ſans reſcrire à Rolandine par ſi ſubtils moyens, que quelque guet que la Royne y meiſt, il n’eſtoit ſepmaine qu’elle n’euſt deux fois de ſes nouuelles. Et quand le moyen du religieux dõt il s’aidoit fut failly, il enuoyoit vn petit page habillé de couleurs puis de l’vne puis de l’autre, qui s’arreſtoit aux portes ou toutes les dames paſſoient, & lá bailloit ſes lettres ſecrettement parmy la preſſe. Vn iour que la Royne alloit aux chãps, quelqu’vn, qui recogneut le page, & qui auoit la charge de prendre garde à ceſt affaire, courut apres : mais ledict page qui eſtoit fin (ſe doubtant que lon le cherchoit) entra en la maiſon d’vne pauure femme, qui faiſoit bouïllir ſon pot du feu, ou il bruſla incontinent ſes lettres. Le gentil-hõme qui le ſuiuoit le deſpouilla tout nud, & chercha par tout ſon habillement : mais il ne trouua rien, parquoy le laiſſa aller. Et quand il fut party, la vieille luy demãda pourquoy il auoit ainſi cherché ce pauure ieune enfant. Il luy diſt que c’eſtoit pour trouuer quelques lettres, qu’il pẽſoit qu’il portaſt. Vous n’auiez garde, diſt la vieille, de les trouuer, car il les auoit bien cachées. Ie vous prie, diſt ce gentil-homme, dictes moy en quel endroit : c’eſt, eſperant bien toſt les recouurer. Mais quand il entendit que c’eſtoit dedans le feu, cogneut bien que le page auoit eſté plus fin que luy, ce que incontinent alla compter à la Royne. Toutesfois depuis ceſte heure lá ne s’ayda plus du page le baſtard, ains y enuoya vn vieil ſeruiteur qu’il auoit, lequel oubliãt la crainte de la mort, dont il ſçauoit bien que lon faiſoit menaſſer de par la Royne ceux qui ſe meſloient de ceſt affaire, entreprint de porter lettres à Rolandine. Et quand il fut entré au chaſteau ou elle eſtoit, s’en alla guetter en vne porte au pied d’vn grand degré ou toutes les dames paſſoient : mais vn varlet qui autresfois l’auoit veu, le recogneut incontinent, & l’alla dire au maiſtre d’hoſtel de la Royne, qui ſoudainement le vint chercher pour le prẽdre. Le varlet ſage & aduisé, voyant qu’on le regardoit de loing, ſe retourna vers la muraille, comme pour

x ij