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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

foit. D’autre coſté venoit à ſa feneſtre Rolãdine, qui, pour auoir occaſion d’y demourer plus longuement, feignit auoir mal en vne iambe, & difnoit & fouppoit de fi bõne heure, qu’elle n’alloit plus à l’ordinaire des dames. Elle ſe meit à faire vn lict de foye cramoiſie, & l’attachoit à la fenſtre ou elle vouloit demourer ſeule : & quand elle voyoit qu’il n’y auoit perſonne, elle entretenoit ſon mary, auquel elle pouuoit parler en telle ſorte que nul ne les euſt ſceu entēdre : & quand il s’approchoit quelqu’vn, elle touſſoit & faiſoit ſigne, par lequelle baſtard ſe pouuoit retirer. Ceux qui faiſoient le guet ſur eux, tenoient tout certain, que l’amitié eſtoit paſſée : car elle ne bougeoit d’vne chãbre, ou ſeurement il ne la pouuoit voir, parce que l’ētrée luy en eſtoit defendue. Vn iour la mere de ce ieune prince eſtant en la chambre de fon fils ſe meit à la feneſtre ou eſtoit ce grád liure, & n’y demoura gueres qu’vne des compagnes de Rolandine, qui eſtoit à celle de leur chambre, ſalűa ceſte dame, & parla à elle. La dame luy demanda comme ſe portoit Rolandine : elle luy diſt qu’elle la verroit bien s’il luy plaiſoit, & la feit venir en la feneſtre en ſon couurechef de nuict, & apres auoir parlé de ſa maladie, ſe retirerent chacun de ſon coſté. La dame, regardant ce gros liure de la table ronde, dift au varlet de chambre qui en auoit la garde : Ie m’esbahis comme les ieunes gens donnent leur temps à lire tant de follies. Le varlet de chambre luy reſpondit qu’il s’eſmerueilloit encores plus, que les gens eſtimez bien ſages & aagez, y eſtoient plus affectionnez que les ieunes, & pour vne merueille luy compta comme le baſtard ſon couſin y demeuroit quatre ou cinq heures tous les iours à lire ce beau liure. Incontinent frappa au cueur de ceſte dame l’occaſion pourquoy c’eſtoit, & donna charge au varlet de chambre de ſe cacher en quelque lieu & de regarder ce qu’il feroit : ce qu’il feit, & trouua que le liure ou il liſoit eſtoit la feneſtre ou Rolandine venoit parler à luy, & entendoit pluſieurs propos de l’amitié qu’ils cuidoient tenir bien ſecrete. Le lēdemain le racompta à ſa maiſtreſſe, qui enuoya querir ſon couſin le baſtard, & apres pluſieurs remonſtrances, luy deffendit de ne ſ’y trouuer plus : & le ſoir elle parla à Rolandine, la menaſſant, ſi elle continuoit ceſte folle amitié, de dire à la Royne toutes les menées. Rolandine, qui ne s’eſtonnoit, iura que depuis la

defenſe