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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

noit ce langage. Rolandine luy diſt, que c’eſtoit pour luy obeïr : car elle ſçauoit bien, que iamais n’auoit eu enuie de la marier en temps & lieu ou elle euſt eſté honorablement pourueuë & à ſon aiſe, & que l’aage & la patiẽce luy auoiẽt aprins de ſe contenter de l’eſtat ou elle eſtoit. Et toutes les fois qu’on luy parloit de mariage, elle faiſoit pareille reſponſe. Quand les guerres furent paſsées, & que le baſtard fut retourné en la court, elle ne parloit point à luy deuant les gens, ains alloit touſiours en quelque egliſe l’entretenir ſous couleur de conſeſsion : car la Royne auoit defendu à luy & à elle, qu’ils n’euſſent à parler enſemble ſans eſtre en grande compaignie, ſur peine de leurs vies. Mais l’amour honneſte, qui ne craint nulle deffenſe, eſtoit plus preſt à trouuer des moyens pour les faire parler enſemble, que leurs ennemis n’eſtoient prompts à les guetter, & ſous l’habit de toutes les religions qu’ils ſe peurent penſer, cõtinuerent leur honneſte amitié, iuſques à ce que le Roy s’en alla en vne maiſon de plaiſance, non tant pres que les dames euſſent peu aller à pied, à autre Egliſe qu’à celle du chaſteau, qui eſtoit tãt & ſi mal baſtie à propos, qu’il n’y auoit lieu à ſe cacher à confeſſer, ou le confeſſeur n’euſt eſté clairement cogneu : toutesfois ſi d’vn coſté l’occaſion leur failloit, amour leur en trouuoit vne autre plus aisée. Car il arriua à la court vne dame de laquelle le baſtard eſtoit proche parẽt. Ceſte dame auec ſon fils furent logez en la maiſon du Roy, & eſtoit la chambre de ce ieune prince auencée toute entiere, outre le corps de la maiſon ou le Roy eſtoit : tellemẽt que de ſa feneſtre pouuoit veoir & parler à Rolandine : car leurs feneſtres eſtoient proprement à l’angle des deux corps de maiſon. En ceſte chambre lá, qui eſtoit ſur la ſalle du Roy, eſtoient logées toutes les damoiſelles de bõne maiſon compaignes de Rolandine. Laquelle aduiſant par pluſieurs fois ce ieune prince en ceſte feneſtre, en feit aduertir le baſtard par ſa gouuernante : lequel apres auoir bien regardé le lieu, feit ſemblant de prendre fort grand plaiſir de lire vn liure des cheualiers de la table ronde, qui eſtoit en la chambre du prince. Et quand chacun s’en alloit diſner, prioit vn varlet de chambre le vouloir laiſſer paracheuer de lire, & l’enfermer dedans la chambre, & qu’il la garderoit bien. L’autre, qui le cognoiſſoit parent de ſon maiſtre & homme ſeur, le laiſſoit lire tant qu’il luy plai-

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