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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

vous tenir, & auquel depuis deux ans, que vous cognois, ie ne ceſſe de penſer, & repenſer de moy meſmes toutes les raiſons pour vous & contre vous, que i’ay peu inuenter. Mais à la fin ſachant que ie veux prendre l’eſtat de mariage, il eſt temps que ie commence, & que ie choiſiſſe celuy, auec lequel ie penſeray mieulx viure en repos de ma conſcience. Ie n’en ay ſceu trouuer vn, tant ſoit il beau, riche, ou grand ſeigneur, auec lequel mon cueur & mon eſprit ſe peuſt accorder, ſinon vous ſeul. Ie ſçay qu’en vous eſpouſant ie n’offenſe point Dieu, mais fais ce qu’il cõmande. Et quant à monſieur mon pere, il a ſi peu pourchaſsé mon bien, & tant refusé, que la loy veult que ie me marie ſans luy, & qu’il me puiſſe desheriter. Quand ie n’auray que ce qui m’appartient en eſpouſant vn mary tel enuers moy que vous eſtes, ie me tiendray la plus riche femme du mõde. Quãt à la Royne ma maiſtreſſe, ie ne dois faire conſcience de luy deſplaire pour obeïr à Dieu : car elle n’a point feinct de m’empeſcher le bien qu’en ma ieuneſſe i’euſſe peu auoir. Mais à fin que vous cognoiſsiez que l’amitié, que ie vous porte, eſt fondée ſur la vertu & ſur l’honneur, vous me promettez que, ſi i’accorde ce mariage, n’en pourchaſſerez iamais la conſommation, que mon pere ne ſoit mort, ou que ie n’aye trouué moyen de l’y faire conſentir. Ce que luy promiſt volontiers le baſtard : & ſur ces promeſſes ſe donnerent chacun vn anneau en nom de mariage, & ſe baiſerent en l’egliſe deuant Dieu, qu’ils prindrent en teſmoing de leur promeſſe, & iamais depuis n’y eut entre eux plus grande priuauté que de baiſer. Ce peu de contentement donna grãde ſatisfaction au cueur de ces deux parfaicts amans, & furent long temps ſans ſe veoir, viuans de ceſte ſeureté. Il n’y auoit gueres lieu ou l’honneur ſe peuſt acquerir, que ledict baſtard n’y allaſt auec vn grand contentement qu’il ne pouuoit deuenir pauure, veu la riche femme que Dieu luy auoit donnée : laquelle en ſon abſence conſerua ſi longuement ceſte parfaicte amitié, qu’elle ne tint compte d’homme du monde. Et combien que quelques vns la demãdaſſent en mariage, ils n’auoient neantmoins autre reſponſe d’elle, ſinon que, puis qu’elle auoit tant demeuré ſans eſtre mariée, elle ne vouloit iamais l’eſtre. Ceſte reſpõſe fut entendue de tant de gens, que la Royne en ouyt parler, & luy demanda pour quelle occaſion elle te-

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