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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES.

garine que la terre nõ cultiuée porte beaucoup d’arbres & herbes cõbien qu’ils ſoient inutiles, ſi eſt-ce qu’elle eſt bien deſirée pour l’eſpoir qu’on a qu’elle portera bon grain, quand elle ſera ſemée & bien cultiuée. Auſsi le cueur de l’homme qui n’a autre ſentiment qu’aux choſes viſibles, ne viẽdra iamais à l’amour de Dieu par la ſemence de ſa parolle : car la terre de ſon cueur eſt ſterile, froide & damnée. Voila pourquoy, diſt Saffredent, la plus part des hommes ſont deceuz, leſquels ne s’amuſent qu’aux choſes exterieures, & contemnent le plus precieux, qui eſt dedans. Si ie ſçauois, diſt Simontault, bien parler Latin, ie vous alleguerois que ſainct Iean dict : que celuy qui n’aime ſon frere qu’il veoit, comment aimera-il Dieu qu’il ne veoit point ? car par les choſes viſibles, on eſt attiré à l’amour des choſes inuiſibles. Qui eſt-il, diſt Emarſuitte, & laudabimus eum, ainſi parfaict que vous le dictes ? Il y en a, reſpondit Dagoucin, qui aiment ſi fort & ſi parfaictement, qu’ils aimeroient mieux mourir, que de ſentir vn deſir contre l’honneur & la conſcience de leurs maiſtreſſes, & ſi ne veullent qu’elles ne autres s’en apperçoiuent. Ceux lá, diſt Saffredent, font de la nature du Camaleon qui vit de l’air. Car il n’y a homme au monde, qui ne deſire declarer ſon amour, & de ſçauoir eſtre aimé : & ſi croy qu’il n’eſt ſi forte fiebure d’amitié, qui ſoudain ne ſe paſſe, quãd on cognoiſt le contraire. Quant à moy, i’en ay veu des miracles euidens. Ie vous prie, diſt Emarſuitte, prenez ma place, & nous racomptez de quelqu’vn qui ſoit reſuſcité de mort à vie, pour cognoiſtre le contraire en ſa dame de ce qu’il deſiroit. Ie crains tant, diſt Saffredent, de deſplaire aux dames de qui l’ay eſté & feray à iamais ſeruiteur, que ſans expres commandement, ie n’euſſe osé racompter leurs imperfections : mais pour obeïr ie ne celeray la verité.

Vn gentil-homme eſt inopinément guary du mal d’amours, trouuant ſa damoiſelle rigoureuſe entre les bras de ſon palefrenier.


NOVVELLE