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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

du reueſtoire pour venir au grand autel, ſon pauure ſeruiteur, qui n’auoit encores parfaict l’an de ſa probation, ſeruoit d’accolite, & portant les deux canettes en ſes deux mains couuertes d’vne toille de foye venoit le premier, ayant les yeux contre terre. Quand Pauline le veid en tel habillement, ou ſa beauté & grace eſtoient pluſtoſt augmentées que diminuées, fut ſi fort eſtonnée & troublée, que pour couurir la cauſe de la couleur qui luy venoit au viſage, ſe print à touſſer. Et ſon pauure feruiteur, qui entendoit mieux ce ſon lá, que celuy des cloches de ſon monaſtere, n’oſa tourner la teſte, mais en paſſant par deuant elle ne peuſt garder ſes yeux, qu’ils ne prinffent le chemin que ſi long temps ils auoient tenu. Et en regardant piteuſement Pauline, fut fi ſaiſi du feu qu’il penfoit quaſi eſteint, que le voulant plus celer qu’il ne pouuoit tomba tout de ſon hault deuant elle. Et la crainte qu’il eut que la cauſe en fuſt cogneuë, luy feit dire que c’eſtoit le paué de l’egliſe, qui eſtoit rompu en ceſt endroit. Quand Pauline cogneut, que le changement de l’habit n’auoit changé le cueur, & qu’il y auoit ſi longtẽps qu’il s'eſtoit rendu, que chacun penſoit qu’elle l’euſt oublié, ſe delibera de mettre à execution le deſir qu’elle auoit eu de rendre la fin de leur amitié ſemblable en habit, forme & eſtat de viure, comme ils auoient eſté viuãs en vne maiſon ſoubs pareil maiſtre & maiſtreſſe. Et pource que plus de quatre mois au parauãt auoit donné ordre à tout ce que luy eſtoit neceſſaire pour entrer en religion, vn matin demanda congé à la Marquise d’aller ouyr meſſe à ſainte Claire, qu’elle luy octroya, ignorant pourquoy elle luy demandoit : & en paſſant par les cordeliers pria le gardien de luy faire venir ſon ſeruiteur qu’elle appelloit ſon parẽt. Et quand elle le veid en vne chapelle à part, elle luy dict. Si mon honneur euſt permis qu’auſsi toſt que vous, ie me fuſſe osé mettre en religion, ie n’euſſe tant attendu : mais ayant rompu par ma patience les opinions de ceux qui pluſtoſt iugent mal que bien, ie ſuis deliberée de prendre l’eſtat, la robbe, & la vie telle que ie voy la voſtre, ſans enquerir quel il y faict. Car ſi vous auez du bien i’en auray ma part, & ſi auez du mal ie n’en veux eſtre exempte. Car par tel chemin que vous irez en paradis, ie vous veux ſuiure : eſtãt aſſeurée que celuy qui eſt le vray, parfaict, & digne d'eſtre nommé amour, nous a tirez à ſon fer-

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