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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

defendit à ſes gens de le ſuyure, & s’en alla tout ſeul à la religion de l’obſeruance demander l’habit, deliberé de iamais n’en porter d’autre. Le gardien, qui autresfois l’auoit veu, penſa au commencement que ce fuſt mocquerie ou ſonge : car il n’y auoit en tout le païs gentil-homme, qui moins que luy euſt grace de cordelier, pource qu’il auoit en luy toutes les bonnes graces & vertuz que lon ſçauroit deſirer en vn gẽtil-homme. Mais apres auoir entendu ſes parolles & veu ſes larmes coulans ſur ſon viſage comme ruiſſeaux, ignorant dont en venoit la ſource, le receut humainement. Et bien toſt apres voyant ſa perſeuerance luy bailla l’habit, qu’il receut bien deuotement, dont furent aduertiz le Marquis & la Marquiſe, qui le trouuerent ſi eſtrangé qu’à peine le pouuoient ils croire. Pauline, pour ne ſe monſtrer ſubiecte à nulle amour, diſsimula le mieux qu’il luy fut poſsible le regret qu’elle auoit de luy, en ſorte que chacun diſoit qu’elle auoit bien toſt oublié la grande affection de ſon loyal ſeruiteur : & ainſi paſſa cinq ou ſix mois, ſans en faire autre demonſtrance. Durant lequel temps luy fut par quelque religieux monſtré vne chanſon que ſon ſeruitcur auoit composée vn peu apres qu’il eut prins l’habit. De laquelle le chant eſt Italien, & aſſez commun : mais i’en ay voulu traduire les mots en François le plus pres de l’Italien qu’il m’a eſté poſſible, qui ſont tels.


Que dira elle
Que fera elle
Quand me verra de ſes yeux
Religieux ?

Las ! la pauurette
Toute ſeulette
Sans parler long temps fera
Eſcheuelée
Deſconfolée :
L’eſtrange cas penſera :