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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

pour recopenfe de fa priſon, & des bons feruices qu'il luy auoit faicts, ne luy donnoit s'amie, il s'en iroit rendre cordelier, & ne feruiroit iamais maiftre que Dieu. Ce que ſon compaignon ne pouuoit croire, ne voyant en luy yn ſeul ſigne de la religion, fors la deuotion qu'il auoit en Pauline. Au bout de neuf moys fut deliuré le gentil-homme François, & par fa bonne diligece feit tant qu'il meit ſon compaignon en liberté, & pourchaſſa le plus qu'il luy fut poſsible enuers le Marquis & la Marquife, le mariage de Pauline.Mais il n'y peut aduenir ny rien gaigner, en luy mettant la pauureté deuant les yeux ou il leur faudroit tous deux viure, & auſsi que de tous coftez les pares n'en eftoiét pas contens ne d'opinion. Et luy defendoient qu'il n'euft plus à parler à elle, à fin que ceſte fantaſie s'en allaft par l'abſence & impoſsibilité. Et quand il veid qu'il eftoit contraint d'obeïr, demanda congé à la Marquife de dire à Dieu à Pauline, puis que iamais il ne parleroit à elle: ce qui fut accordé, & à l'heure commença à luy dire. Puis qu'ainſi eſt, Pauline, que le ciel & la terre font contre nous, non feulement pour nous empefcher de nous marier enſemble,mais (qui plus eft) pour nous ofter la veuë & parolle, dont noz maiftre & maiftreffe nous ont faict fi rigoureux commandement:ils ſe peuuent bien vanter qu'en vne parolle ils ont bleſſé deux cueurs, dont les corps ne sçau- roient plus faire que languir, monftrans bien par ceft effect, qu'oncques amour ne pitié n'entrerent en leur eftomach, le fçay bien que leur fin eſt de nous marier bien & richement chacun: car ils ignorent que la vraye richeſſe gift au contente- ment:mais fi m'ont ils faict tant de mal & de defplaifir, qu'il eſt impoſsible que iamais ie leur puiſſe faire feruice. Ie croy bien que fi iamais ie n'euſſe parlé de ce mariage, ils ne fuffent pas fi ſcrupuleux qu'ils ne nous eufsét aſſez ſouffert parler enſemble, vous affeurat que i'aimerois mieux mourir que changer mon opinion en pire,apres vous auoir aimée d'vne amourfi honefte & vertueuſe, & pourchassé enuers vous ce que ie deurois de- fendre enuers tous. Et pource qu'en vous voyat ie ne fçaurois porter ceſte dure patience,& qu'en ne vous voyant mon cueur (qui ne peult demeurer vuide) ſe rempliroit de quelque defe fpoir dont la fin feroit malheureuſe: ie me fuis deliberé (& de long temps) de me mettre en religion, non que ie ne fçache fiij