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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES.
De deux amans qui par deſeſpoir d’eſtre mariez enſemble ſe rendirent en religion, l’homme à ſainct François,& la fille à ſaincte Claire.

NOV VELLE DIXNEVFIES ME. la fil- V TEMPS du Marquis de Mantouë, qui auoit efpousé la ſoeur du Duc de Ferrare, y auoit en la maiſon de la Du- cheffe vne damoiſelle, nomée Pauline, al laquelle eftoit tant aimée d'vn gentil homme feruiteur du Marquis, que la grandeur de ſon amour faifoit efmer- uciller tout le monde: veu qu'il eftoit pauure & tant gentil compaignon, qu'il deuoit chercher (pour l'amour que luy portoit ſon maiftre) quelque femme riche: mais il luy fembloit que tout le trefor du monde eftoit en Pauline, lequel en l'efpoufant il penfoit poffeder. La Marqui ſe,defirant que par fa faueur Pauline fuft mariée plus richemét, l'en defgouftoit le plus qu'il luy eftoit poſsible, & les empef choit fouuent de parler enſemble, leur remonftrant que file mariage ſe faifoit, ils feroient les plus pauures & miferables de toute l'Italie. Mais ceſte raiſon ne pouuoit entrer en l'entende- ment du gentil-homme. Pauline de ſon cofté difsimuloit le mieux qu'elle pouuoit ſon amitié, toutesfois elle n'en penfoit pas moins. Cefte amitié dura longuement auec vne efperance que le temps leur apporteroit quelque meilleure fortune. Du- rant lequel vint vne guerre,ou ce getil-home fut prins priſon- nier auec vn François, qui n'eftoit moins amoureux en France, que luy en Italie. Et quand ils ſe trouuerent compaignons de leurs fortunes, ils comencerent à defcouurir leurs ſecrets l'vn à l'autre .Et confeſſa le François, que ſon cueur eftoit ainſi pri- ſonnier que le ſien, fans luy vouloir nommer le lieu.Mais pour eftre tous deux au feruice du Marquis de Mantouë, fçauoit bien ce gentil-homme François, que ſon compaignon aimoit Pauline,& pour l'amitié qu'il auoit en ſon bie & profit, luy con- feilloit d'en ofter fa fantaſie. Ce que le gétil-homme Italien iu- roit n'eftre en fa puiſſance, & que fi le Marquis de Mantouë, pour