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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES

rie, il eut la fruition telle qu’il la pouuoit deſirer.

Ie vous prie, mes dames, trouuez moy vne femme qui ait eſté ſi ferme, ſi patiente, & ſi loyalle en amour, que ceſt homme cy a eſté. Ceux qui ont experimenté telles tentations, trouuent celles que lon peinct à ſainct Anthoine bien petites au pris : Car qui peult eſtre chaſte & patient auec la beauté, l’amour, le temps, & le loiſir des femmes, ſera aſſez vertueux pour yaincre tous les diables. C’eſt dommage, diſt Oiſille, qu’il ne ſ’adreſſa à vne femme auſsi vertueuſe que luy : car c’euſt eſté la plus parfaicte, & la plus honneſte amour, dont on ouït iamais parler. Mais ie vous prie, diſt Guebron, dictes moy : lequel tour trouuez vous le plus difficile des deux ? Il me ſemble, diſt Parlamente, que c’eſt le dernier : car le deſpit eſt la plus forte tentation de toutes les autres. Longarine diſt qu’elle pẽſoit que ce fuſt le premier : car il failloit qu’il vainquit l’amour & ſoymeſmes, pour tenir ſa promeſſe. Vous en parlez bien à voſtre aiſe, diſt Simontault : mais nous, qui ſçauons bien que la choſe vault, en deuons dire noſtre opinion. Quant à moy, à la premiere fois ie l’eſtime fol, & à la derniere ſot. Car ie croy qu’en tenant promeſſe à ſa dame, elle auoit autant ou plus de peine que luy. Elle ne luy faiſoit faire ce ſermẽt, ſinon pour ſe feindre plus femme de bien qu’elle n’eſtoit, ſe tenant ſeure qu’vne forte amour ne ſe peult lyer, ny par commandement, ny par ſerment, ne par choſe qui ſoit au monde, Mais elle vouloit feindre ſon vice ſi vertueux, qu’il ne pouuoit eſtre gaigné que par vertuz heroïques. Et la ſeconde fois il ſe monſtra ſot, de laiſſer celle qui l’aimoit, & valloit mieulx que celle ou il auoit ſerment contraire, & ſi auoit bonne excuſe ſur le deſpit dequoy il eſtoit plein. Dagoucin le reprint, diſant qu’il eſtoit de contraire opinion : & que à la premiere fois il ſe monſtra ferme, patiẽt, & veritable : & à la ſeconde loyal & parfaict en amitié. Et que ſçauons nous (diſt Saffredent) ſ’il eſtoit de ceulx qu’vn chapitre nomme De frigidis & maleficiatis ? Mais ſi Hircan euſt voulu parfaire ſa louange, il nous deuoit compter comme il fut gentil compaignon, quand il eut ce qu’il demandoit : & à l’heure pourrions nous iuger ſi c’eſtoit vertu ou impuiſſance qui le feiſt eſtre ſi ſage. Vous pouuez bien penſer, diſt Hircan, que ſi lon me l’euſt dict, ne l’euſſe non plus celé que le demeurant. Mais à veoir ſa perſonne &

cognoiſtre