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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

quelle n’y vouloit faillir : & obeïſſant à ſon conſeil, & par ſon commandement ſe deſpouilla, & ſe meiſt en vn beau lict toute ſeule en vne chambre, dont la dame laiſſa la porte ouuerte, & alluma de la clarté là dedans, parquoy la beauté de ceſte fille pouuoit eſtre veuë plus clerement. Et en feignant de ſ’en aller, ſe cacha ſi bien aupres du lict, qu’on ne pouuoit la veoir. Son pauure ſeruiteur la cuidant trouver comme elle luy auoit promis, ne faillit à l’heure ordonnée d’entrer en la chambre le plus doucement qu’il luy fut poſsible. Et apres qu’il eut fermé l’huis, & oſté ſa robbe & ſes brodequins fourrez, ſ’en alla mettre au lict ou il penſoit trouuer ce qu’il deſiroit. Et ne ſceut ſi toſt auancer ſes bras, pour embraſſer celle qu’il cuidoit eſtre ſa dame, que la pauure fille, qui le cuidoit eſtre du tout à elle, n’euſt les ſiens alentour de ſon col, en luy diſant tãt de parolles affectionnées, & d’vn ſi beau viſage, qu’il n’eſt ſi ſainct hermite qui n’euſt perdu ſes patenoſtres. Mais quand il la recogneut tant à la veuë qu’à l’ouïr, l’amour qui auec ſi grand haſte l’auoit faict coucher, le feit encores plus toſt leuer, quand il recogneut que ce n’eſtoit celle pour qui il auoit tant ſouffert. Et auec vn deſpit tant contre la maiſtreſſe, que contre ſa chambriere, alla à la damoiſelle, & luy diſt : Voſtre folie tant de vous que de la damoiſelle qui vous a mis là par malice, ne me ſçauroit faire autre que ie ſuis : mais mettez peine d’eſtre femme de bien : car par mon occaſion ne perdrez ce bon nom. Et en ce diſant tant courroucé qu’il n’eſt poſsible de plus, ſaillit hors de la chambre, & fut long tẽps ſans retourner ou eſtoit ſa dame. Toutesfois amour, qui n’eſt iamais ſans eſperance, l’aſſeura que plus la fermeté de ſon amour eſtoit grande & cogneuë par tant d’experience, plus la iouïſſance en ſeroit longue & heureuſe. La dame, qui auoit entendu tous ces propos, fut tant contente & esbahie de veoir la grandeur & fermeté de ſon amour, qu’il luy tarda bien qu’elle ne le pouuoit reueoir pour luy demander pardon des maulx qu’elle luy auoit faicts a l’eſprouuer. Et ſi toſt qu’elle le peut trouver, ne faillit a luy dire tant d’honneſtes & bons propos, que non ſeulement il oublia toutes ſes peines, mais les eſtima tresheureuſes, veu qu’elles eſtoient tournées à la gloire de ſa fermeté, & à l’aſſeurance parfaicte de ſon amitié. De laquelle depuis ceſte heure lá en auant, ſans empeſchement ne faſche-