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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES

qu’il n’y euſt ioye digne d’eſtre accõparée à celle qu’elle luy permettoit, luy accorda. Et le ſoir venu la promeſſe fut acõplie. De ſorte que pour quelque bonne chere qu’elle luy feiſt, ne pour quelque tentation qu’il euſt, ne voulut faulſer ſon ſerment. Et combien qu’il n’eſtimaſt ſa peine moindre que celle du purgatoire, ſi fut ſon amour ſi grand & ſon eſperance ſi forte, eſtant ſeur de la continuation perpetuelle de l’amitié qu’auec ſi grãd peine il auoit acquiſe, qu’il garda ſa patience, & ſe leua d’aupres d’elle ſans iamais luy vouloir faire aucun deſplaiſir. La dame (comme ie croy) plus eſmerueillée que contente de ce bien, ſoupçonna incontinent que ſon amour n’eſtoit ſi grãde qu’elle penſoit, ou qu’il n’auoit trouué en elle tant de bien comme il eſtimoit, & ne regarda pas à ſa grande honneſteté, patience, & fidelite, à garder ſon ſermẽt. Parquoy ſe delibera de faire encore vne autre preuue d’amour qu’il luy portoit, auãt que tenir ſa promeſſe. Et pour y paruenir, le pria de parler à vne fille qui eſtoit en ſa compaignie plus ieune qu’elle, & bien fort belle, & qu’il luy tint propos d’amitié, à fin que ceux qui le voyoient venir en ſa maiſon ſi ſouuent, penſaſſent que ce fuſt pour ſa damoiſelle, & non pour elle. Ce ieune ſeigneur, qui ſe tenoit ſeur d’eſtre aimé autant qu’il aimoit, obeït entierement à tout ce qu’elle luy commanda, & ſe contraignit pour l’amour d’elle de faire l’amour à ceſte fille. Laquelle le voyant ſi beau & biẽ emparlé creut ſa menſonge plus qu’vne autre verité, & l’aima autant que ſi elle euſt eſté bien fort aimée de luy. Et quand la maiſtreſſe veid que les choſes eſtoient ſi auant, & que toutesfois ce ſeigneur ne ceſſoit de la ſommer de ſa pmeſſe, luy accorda qu’il la vint veoir à vne heure apres minuict : & qu’elle auoit tant experimenté l’amour & obeïſſance qu’il luy portoit, que c’eſtoit raiſon qu’il fuſt recompenſé de ſa bonne patience. Il ne fault point douter de la ioye que receut ceſt affectionné ſeruiteur, qui ne faillit à venir à l’heure aſsignée. Mais la dame, pour tenter la force de ſon amour, diſt à ſa belle damoiſelle. Ie ſçay bien l’amour qu’vn tel ſeigneur vous porte, dont ie croy que n’auez moindre paſsion que luy : & i’ay telle cõpaſsion de vous deux, que ie ſuis deliberée de vous donner lieu, & loiſir de parler longuemẽt enſemble à voz aiſes. La damoiſelle fut ſi tranſportée, qu’elle ne luy ſceut feindre ſon affection : mais luy diſt

qu’elle