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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

qu’il fuſt vn auſsi fort & diſpoſt gentil-homme qui ſe trouuaſt lors, n’eſtoit homme pour faire vne ſi haulte entrepriſe. Mais le Comte Guillaume craignant eſtre decelé ou ſoupçonné du faict, vint le lendemain matin dire à Robertet ſecrettaire des finãces du Roy, qu’il auoit regardé aux biẽsfaicts & gages, que le Roy luy vouloit donner pour demeurer auec luy, toutesfois qu’ils n’eſtoiẽt pas ſuffiſans pour l’entretenir la moitié de l’année. Et que s’il ne plaiſoit au Roy luy en bailler la moitié au double, il ſeroit contrainct de ſe retirer : priant ledict Robertet d’en ſçauoir le pluſtoſt qu’il pourroit la volonté du Roy. Qui luy diſt, qu’il ne ſe ſçauroit plus aduancer que d’y aller incontinent ſur l’heure, & print ceſte commiſsion volontiers, car il auoit veu les aduertiſſemens du gouuerneur. Et ainſi que le Roy fut eſueillé ne fallit à faire ſa harangue, preſent monſieur de la Trimouïlle, & l’admiral de Bonniuet, leſquels ignoroient le tour que le Roy auoit faict. Ledict ſeigneur leur diſt : vous auiez enuie de chaſſer le Comte Guillaume, & vous voyez qu’il ſe chaſſe de luy meſme. Parquoy luy direz, que s’il ne ſe cõtente de l’eſtat qu’il a accepté entrant en mon ſeruice, dont pluſieurs gens de bonnes maiſons ſe ſont tenuz bien heureux, c’eſt raiſon qu’il cherche ailleurs meilleure fortune, & quant à moy, ie ne l’empeſcheray point, mais ie ſeray treſcontent qu’il trouue party tel qu’il puiſſe viure comme il merite. Robertet fut auſsi diligent de porter ceſte reſponce au Comte, qu’il auoit eſté de preſenter ſa requeſte au Roy. Le Comte diſt, qu’auec ſon congé il deliberoit donc de s’en aller. Et comme celuy que la peur contraignoit de partir, ne la ſceut porter vingt-quatre heures. Mais comme le Roy ſe mettoit à table print congé de luy, feignant auoir grand regret, dont ſa neceſsité luy faiſoit perdre ſa preſence. Il alla auſsi prendre congé de la mere du Roy, laquelle luy donna auſsi ioyeuſement qu’elle l’auoit receu comme parent & amy, ainſi s’en alla en ſon païs. Et le Roy voyant ſa mere & ſes ſeruiteurs eſtonnez de ce ſoudain partement, leur compta l’alarme qu’il luy auoit dõnée, diſant qu’encores qu’il fuſt innocent de ce qu’on luy mettoit à ſus, ſi auoit eſté ſa peur aſſez grande, pour l’eſlongner d’vn maiſtre dont il ne cognoiſſoit pas encores les complexions.

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