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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES

qu’il ſaiſoit, & ſe gouuernoit ſi ſagement que peu de choſes luy eſtoient celées. Entre autres aduertiſſemens, il luy fut eſcrit par vn de ſes amis, que le Comte Guillaume auoit prins quelque ſomme de deniers, auec promeſſe d’en auoir d’auantage, pour faire mourir le Roy en quelque ſorte que peuſt eſtre. Le ſeigneur de la Trimouille ne faillit point d’en venir aduertir le Roy & ne cela à ma dame Loyſe de Sauoye ſa mere, laquelle oublia l’alliance qu’elle auoit à ceſt Allemant, & ſupplia le Roy de le chaſſer bien toſt, lequel la requiſt de n’en parler point : & qu’il eſtoit impoſsible qu’vn ſi honneſte gentil-homme, & tant homme de bien entreprint vne ſi grande meſchãceté. Au bout de quelque temps vint encores vn autre aduertiſſement confirmant le premier. Dont le gouuerneur bruſlant de l’amour de ſon maiſtre, luy demande congé ou de le chaſſer, ou d’y donner ordre : mais le Roy luy commanda expreſſement de n’en faire nul ſemblãt, & penſa bien que par autre moyen il en ſçauroit la verité. Vn iour qu’il alloit à la chaſſe, print la meilleure eſpée quil eſtoit poſsible de veoir pour toutes armes, & mena auecques luy le Comte Guillaume, auquel il commanda de le ſuyure le premier & de pres : mais apres auoir quelque temps couru le cerf, voyant le Roy que ſes gens eſtoient loing de luy fors le Comte ſeulemẽt, ſe detourna de tous chemins. Et quãd il ſe veid auec le Comte au plus profond de la foreſt ſeul, en tirant ſon eſpée dift au Comte : vous ſemble-il que ceſte eſpée ſoit belle & bonne ? Le Cõte en la maniant par le bout luy diſt, qu’il n’en auoit veu nulle qu’il penſaſt meilleure. Vous auez raiſon, diſt le Roy, & me ſemble que ſi vn gentil-homme auoit deliberé de me tuer, & qu’il euſt cogneu la force de mon bras, & la bonté de mon cueur accompaigné de ceſte eſpée, il penſeroit deux fois à m’aſſaillir : toutesfois ie le tiendrois pour bien meſchant ſi nous eſtions ſeul à ſeul ſans teſmoings, s’il n’oſoit executer ce qu’il auroit entreprins. Le Cõte Guillaume luy reſpondit auec vn viſage eſtonné. Sire, la meſchanceté de l’entreprinſe ſeroit bien grande, mais la folie de la vouloir executer ne ſeroit pas moindre. Le Roy en ſe prenant à rire, remeiſt l’eſpée au fourreau, & eſcoutant que la chaſſe eſtoit pres de luy, picqua apres le pluſtoſt qu’il peut. Quand il fut arriué, il ne parla à nul de ceſt affaire, & s’aſſeura que le Comte Guillaume, combien

qu’il