Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/148

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES

rant, que ſi pour peur de vie, ou de nul autre egard, ie vous euſſe trouué craintif iuſques à vous coucher ſoubs mon lict, i’auois deliberé de me leuer & aller en vne autre chambre, ſans iamais de plus pres vous veoir. Mais pource que vous ay trouué beau, de bonne grace, & plein de vertu & hardieſſe, plus que lon ne m’auoit dict, & que la peur n’a peu toucher voſtre cueur, ny tant ſoit peu refroidir l’amour que vous me portez, ie ſuis deliberée de m’arreſter à vous pour la fin de mes iours : me tenant ſeure, que ie ne ſçaurois en meilleure main mettre ma vie & mon hõneur, qu’en celuy que ie ne penſe auoir veu ſon pareil en toutes vertuz. Et comme ſi la volonté des hommes eſtoit immuable, ſe promirent & iurerent ce qui n’eſtoit en leur puiſſance, c’eſt vne amitié perpetuelle, qui ne peult naiſtre ne demeurer au cueur des hommes : & celles le ſçauent qui l’ont experimenté, & combien telles opinions durent.

Et pource, mes dames, vous vous garderez de nous comme le cerf (ſ’il auoit entendement) feroit de ſon chaſſeur. Car noſtre felicité, & noſtre gloire & entendement, eſt de vous veoir priſes, & oſter ce qui vous eſt plus cher que la vie. Comment ? dict Hircan à Guebron, depuis quel temps eſtes vous deuenu preſcheur ? i’ay bien veu que vous ne teniez pas ces propos. Il eſt vray, diſt Guebron, que i’ay parlé maintenant contre tout ce que i’ay dit toute ma vie : mais pource que i’ay les dents ſi foibles, que ie ne puis plus maſcher la venaiſon, i’aduertiz les pauures biches de ſe garder des veneurs, pour ſatisfaire ſur ma vieilleſſe aux maulx que i’ay deſſeruiz en ma ieuneſſe. Nous vous remercions Guebron, diſt Nomerfide, dequoy nous aduertiſſez de noſtre profit, mais ſi ne nous en ſentons nous pas trop tenuës à vous : car vous n’auez tenu pareil propos à celle que vous auez bien aimée : c’eſt dõques ſigne que vous ne nous aimez gueres. Ne voulez vous encor ſouffrir, que nous ſoyons aimées ? Si penſons nous eſtre auſsi ſages & vertueuſes, que celle que vous auez ſi longuemẽt chaſſée en voſtre ieuneſſe. Mais c’eſt la gloire des vieilles gens, qui cuident touſiours auoir eſté plus ſages que ceulx qui viennent apres eulx. Et bien Nomerfide (diſt Guebron) quand la tromperie de quelqu’vn de voz ſeruiteurs vous aura faict congnoiſtre la malice des hommes, à ceſte heure lá croirez vous que ie vous auray dict verité. Oiſille

diſt