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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

tends bien que voila mes freres qui vous cherchent pour vous tuer, parquoy ie vous prie cachez vous ſoubs ce lict : car quand ils ne vous trouueront point, i’auray occaſion de me courroucer à eulx, de l’alarme que ſans cauſe ils m’auroiẽt faicte. Le gentilhomme qui n’auoit encores iamais regardé la peur, luy diſt : Et qui ſont voz freres pour faire peur à vn homme de bien ? Quand toute leur race feroit enſemble, ie ſuis ſeur qu’ils n’attẽdroient point le quatrieſme coup de mon eſpée : parquoy repoſez vous en voſtre lict, & me laiſſez garder ceſte porte. A l’heure il meit ſa cappe alentour de ſon bras, & l’eſpée au poing, & alla ouurir la porte, pour veoir de plus pres les eſpées dont il oyoit le bruit : & quand elle fut ouuerte, il veid deux chambrieres, qui auecques deux eſpées en chacune main, luy faiſoient ceſte alarme, leſquelles luy dirent : Monſieur, pardonnez nous, car nous auons commandement de noſtre maiſtreſſe de faire ainſi, mais vous n’aurez plus de nous autres empeſchement. Le gentilhomme voyant que c’eſtoient femmes, ne peut pis faire que de les commander à tous les diables, leur fermant la porte au viſage : & ſ’en alla le plus toſt qu’il luy fut poſsible coucher auec ſa dame, de laquelle la peur n’auoit en rien diminué l’amour, & oubliant luy demander la raiſon de ces eſcarmouches, ne penſa qu’à ſatisfaire à ſon deſir. Mais voyãt que le iour approchoit, la pria luy dire pourquoy elle luy auoit faict ſi mauuais tour, tãt de la longueur du temps, que de ceſte derniere entrepriſe. Elle en riant luy reſpondit : Ma deliberation eſtoit de iamais n’aimer, ce que depuis ma viduité iauois bien ſceu garder : mais voſtre honeſteté des l’heure que vous parlaſtes à moy au feſtin me feit changer propos, & commençay deſlors à vous aimer autant que vous faiſiez moy. Il eſt vray que l’honneur, qui m’auoit touſiours conduicte, ne vouloit permettre qu’amour me feiſt faire choſe dont ma reputation fuſt empirée. Mais comme la biche naürée à mort cuide en changeant de lieu, changer le mal qu’elle porte auec ſoy : ainſi m’en allois d’egliſe en egliſe, cuidant fuir celuy que ie portois en mon cueur, duquel a eſté la preuue de l’amitié ſi parfaicte, qu’elle a faict accorder l’honneur auec l’amour. Mais à fin d’eſtre plus aſſeurée de mettre mon cueur & mon amour en vn parfait hõme de bien, i’ay bien voulu faire ceſte derniere preuue de mes chambrieres. Vous aſſeu-

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