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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

bailler telles femmes à garder : ils les laiſſent parler sans ſçauoir à qui, & puis adiouſtant foy à leurs parolles, vont faire honte aux ſeruiteurs de Dieu. Et apres toutes ſes moqueries s’en alla au lieu ou ſon mari l’auoit ordonné, ou ſes deux belles ſœurs & vn mary de l’vne la tenoit fort ſubiette. Et durant ce temps entendit ſon mari, comme ſa bague eſtoit en gage pour quinze cens eſcuz, dont il fut fort marry. Mais pour ſauluer l’honneur de ſa femme, & pour la recouurer, luy feiſt dire qu’elle la retiraſt, & qu’il payroit les quinze cens eſcuz. Elle qui n’auoit ſoing de la bague puis que l’argent demeuroit à ſon ami, luy eſcriuit comme ſon mari la contraignoit de retirer ſa bague : & àfin qu’il ne penſaſt qu’elle feiſt pour diminution de bonne volonté, elle luy enuoya vn diamant que ſa maiſtreſſe luy auoit donné, qu’elle aimoit plus que bague qu’elle euſt. Le gentil-hõme luy enuoya treſuolontiers l’obligation du marchant, & ſe tint pour content d’auoir eu quinze cẽs eſcuz, & vn diamant & de demeurer aſſeuré de la bonne grace de s’amie, combien que tant que le mari veſquit, il n’eut moyen de parler à elle, que par eſcriture. Et apres la mort du mari, pource qu’il la penſoit telle qu’elle luy auoit promis, feit toute diligẽce de la pourchaſſer en mariage : mais il trouua q̃ la longue abſence luy auoit acquis vn cõpaignon mieux aimé que luy, dont il eut ſi grãd regret qu’en fuyant les dames chercha les lieux hazardeux, ou il eut autant d’eſtime que ieune homme pourroit auoir, ainſi fina ſes iours.

Voila, mes dames, que sans eſpargner noſtre ſexe, i’ay bien voulu monſtrer aux mariz, pour leur faire entẽdre que les femmes de grand cueur ſont pluſtoſt vaincues d’ire & vengeance, que de la douceur & amour : à quoy ceſte cy ſceut long temps reſiſter, mais à la fin fut vaincue du deſeſpoir. Ce que ne doibt eſtre femme de bien : pource qu’en quelque ſorte que ce ſoit ne ſçauroit trouuer excuſe à mal faire. Car de tant plus les occaſions en ſont données grandes, & de tant plus ſe doibuent monſtrer vertueuſes à reſiſter & vaincre le mal en bien, & non pas rendre le mal pour mal : d’autant que ſouuent le mal que lon cuide rendre à autruy retombe ſur ſoy. Bien heureuſes ſont celles en qui la vertu de Dieu, ſe monſtre en chaſteté, douceur patience, & longanimité. Hircan luy diſt : Il me ſemble, Longarine, que ceſte dame dont vous auez parlé, a eſté plus menée

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