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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES

il l’engagea pour quinze cens. Et quelque temps apres qu’il fut party, le gentil-homme mary vint à la princeſſe maiſtreſſe de ſa femme, & la ſupplia donner congé à ſa femme, pour aller demeurer quelque temps auec l’vne de ſes ſœurs. Ce que ladicte dame trouua fort eſtrange, & le pria tant de luy en dire l’occaſion, qu’il luy en diſt vne partie, mais non tout. Apres que la ieune dame mariée eut prins congé de ſa maiſtreſſe, & de toute la court, sans plorer ne faire ſigne d’ennuy, ſ’en alla où ſon mary vouloit qu’elle fuſt, en la conduicte d’vn gentil-homme auquel fut donné charge expreſſe de la garder ſoigneuſement, & ſur tout que ſur les chemins elle ne parlaſt à celuy duquel elle eſtoit ſoupconnée. Elle qui ſçauoit ce commandement, leur donnoit tous les iours des alarmes, & ſe mocquoit d’eux & de leur mauuais ſoing. Et vn iour entre les autres, au partir du logis trouua vn cordelier à cheual, & elle eſtant ſur ſa hacquenée l’entretint depuis la diſnée iuſques à la ſouppée : & quand elle fut à vne grand lieuë du logis, elle luy diſt : Mon pere, pour les conſolations que vous m’auez données ceſte apres diſnée, voyla deux eſcuz que ie vous donne, leſquels ſont dedans vn papier, car ie ſçay bien que vous n’y oſeriez toucher : vous priant que incontinent que vous ſerez party d’auec moy, vous en alliez atrauers les chãps le beau galot. Et quand il fut aſſez loing, la dame diſt tout hault à ſes gens. Penſez-vous que vous eſtes bons ſeruiteurs, & bien ſoigneux de me garder ; veu que celuy qu’on vous a tant recommãdé, a parlé à moy tout ce iourd’huy, & vous l’auez laiſſé faire : vous meritez bien que voſtre bon maiſtre qui ſe fie tant à vous, vous dõnaſt des coups de baſton au lieu de voz gages. Quand le gentilhomme qui auoit la charde d’elle ouyr ces propos, il eut ſi grand deſpit qu’il ne pouuoit reſpondre : picque ſon cheual ; appellant deux autres auec luy, & feit tant qu’il atteignit le cordelier, lequelles voÿant venir droict à luy, ſuyoit le mieux qu’il pouuoit, mais pource qu’ils eſtoient mieux montez que luy, le pauure homme fut pris. Et luy qui ne ſçauoit pourquoy, leur cria merci : & en deſtournant ſon chapperon pour les plus humblement ſupplier reſte nuë, congneurent bien que ce n’eſtoit ce qu’ils cherchoient, & que leur maiſtreſſe c’eſtoit bien moquée d’eux : ce qu’elle feit encores mieux à leur retour, diſant : C’eſt à telles gens à qui lon doit

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