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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES

ge ny experimenté, qui ne vous donne le tort, veu que ie ſuis ieune & ignorãte, deſpriſée & contemnée de vous, & aimée du plus beau & honeſte gentil-hõme de Frãce, lequel i’aime par le deſeſpoir de ne pouuoir iamais eſtre de vous aimée. Le gentil-hõme oyãt ces propos pleins de verité, dicts & prononcez d’vn viſage beau auec vne grace tant aſſeurée & audacieuſe, qu’elle mõſtroit ne craindre meriter nulle punitiõ, ſe trouua tant ſurpris d’eſtonnemẽt, qu’il ne ſceut que luy reſpondre, ſinon que l’honneur d’vn homme & d’vne femme n’eſt pas tout vn ne ſemblable. Mais toutesfois puis qu’elle iuroit qu’il n’y auoit point eu de peché entre celuy qu’elle aimoit & elle, il n’eſtoit point deliberé de luy en faire pire chere, par ainſi qu’elle n’y retournaſt plus : & que l’vn ne l’autre n’euſſent plus de recordatiõ des choſes paſsées, ce qu’elle luy promiſt, & s’en allerẽt coucher enſemble par bon accord. Le matin vne vieille damoiſelle, qui auoit grãd peur de la vie de ſa maiſtreſſe, vint à ſon leuer, & luy demanda : Et puis, madame, cõment vous va ? Elle luy reſpondit en riant : quoy mamie ? il n’eſt point vn meilleur mary que le mien, car il m’a creuë en mon ſerment. Ainſi ſe paſſerẽt cinq ou ſix iours. Le gentil-homme prenoit de ſi pres garde à ſa femme que nuict & iour auoit guet apres elle. Mais il ne ſceut ſi bien guetter qu’elle ne parlaſt encores à celuy qu’elle aimoit en vn lieu fort obſcur & ſuſpect. Toutefois elle conduiſoit ſon affaire ſi ſecrettement, qu’homme ne femme n’en peult ſçauoir la verité. Et ne fut qu’vn bruit, que quelque varlet feit, d’auoir trouué vn gentil-homme & vne damoiſelle en vne eſtable ſoubs la chambre de la maiſtreſſe de ceſte dame. Dont le gẽtil-homme mary eut ſi grand ſoupçon, qu’il ſe delibera de faire mourir ce gentil homme : & aſſembla vn grand nombre de ſes parens & amis pour le faire tuer, s’ils le pouuoient trouuer en quelque lieu mais le principal de ſes parens eſtoit tant amy du gentil-homme qu’il faiſoit chercher, qu’en lieu de le ſurprendre, l’aduertiſſoit de tout ce qui ſe faiſoit contre luy : lequel d’autre coſté eſtoit tant aimé à la court, & ſi bien accompaigné, qu’il ne craignoit point la puiſſance de ſon ennemi, parquoy il ne fut point trouué. Mais s’en vint en vne egliſe trouuer la maiſtreſſe de celle qu’il aimoit, laquelle n’auoit iamais rien entendu de touts ces propos paſſez, car deuant elle n’auoit iamais par-

lé à elle.