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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

ſa vie ne me requiſt choſe contre l’honneur. Et combien que le peu d’amour que i’ay cauſe de vous porter, me donnaſt occaſion de ne vous garder foy ny loyauté, l’amour que i’ay à Dieu ſeul, & à mon honneur, m’ont iuſques icy gardée d’auoir faict choſe pour laquelle i’aye beſoing de confeſsion, ou crainte de honte. Ie ne vous veux point nyer, que le plus ſouuent qu’il m’eſtoit poſsible, ie n’allaſſe parler à luy dedans vne garde robbe, feignant d’aller dire mes oraiſons : car iamais en femme ny en homme ie ne me fiay, de conduire ceſt affaire. Ie ne veux point auſsi nyer, qu’eſtant en vn lieu ſi priué & hors de tout ſoupçon, ie ne l’aye baiſé du meilleur cueur que ie ne feis iamais vous. Mais ie ne demande iamais mercy à Dieu, ſi entre nous deux il y a iamais eu autre priuauté, ne ſi iamais il m’en a preſſée plus auant, ne ſi mon cueur en a eu le deſir : car i’eſtois ſi aiſe de le veoir qu’il ne me ſembloit point qu’il y euſt au monde vn antre plus grand plaiſir. Et vous, monſieur, qui eſtes ſeul la cauſe de mon malheur, voudriez vous prẽdre vengeance d’vn œuure, dont ſi long temps vous m’auez donné exemple, ſinon que la voſtre eſtoit ſans honneur ny conſcience ? car vous le ſçauez, & ie le ſçay bien, que celle que vous aimez ne ſe contẽte point de ce que Dieu & la raiſon cõmandent. Et combien que la Loy des hommes donne ſi grand deshonneur aux femmes qui aiment autres que leurs mariz, ſi eſt-ce que la loy de Dieu n’excepte point les mariz, qui aiment autres que leurs femmes. Et s’il fault mettre en la balãce l’offence de vous & de moy : vous eſtes homme ſage, & experimẽté, & d’aage, pour cognoiſtre & ſçauoir euiter le mal : moy ieune & ſans experience nulle, de ſa force & puiſſance d’amour. Vous auez vne fẽme qui vo9 cherche, eſtime, & aime plus que ſa vie propre : & i’ay vn mary qui me fuit, qui me hait, & me deſpite plus qu’vne chãbriere. Vo9 aimez vne fẽme deſia d’aage, & en mauuais point, & moins belle que moy, & i’aime vn gentil-hõme plus ieune que vous, plus beau & plus amiable. Vous aimez la femme d’vn des grãs amis que vous ayez en ce monde, offençant d’vn coſté l’amitié & de l’autre la reuerence que vous portez à tous deux : & i’aime vn gentilhõme qui n’eſt à rien lié, ſinon à l’amour qu’il me porte. Or iugez mõſieur, ſans faueur lequel de nous deux eſt le plus puniſſable ou excuſable, ou vous ou moy. Ie n’eſtime hõme ſa-

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