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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES

ce qu’il auoit trouué ſa femme fort deuote, penſa qu’elle ne ſe pariureroit point, ſi elle iuroit ſur la croix : parquoy en demanda vne fort belle qu’il auoit empruntée : & quãd ils furent eulx deux ſeuls, la feit iurer deſſus qu’elle luy diroit verité de ce qu’il luy demanderoit. Mais elle qui auoit deſ-ia paſsé les premieres apprehenſions de la crainte de mourir, print cueur, ſe deliberant auant que mourir de ne luy rien celer, & auſsi de ne luy dire choſe dont le gentilhomme qu’elle aimoit peuſt auoir à ſouffrir. Et apres auoir ouy les queſtions qu’il luy faiſoit, luy reſpondit : Ie ne me veulx point iuſtifier, monſieur, ne faire moindre enuers vous l’amour que i’ay portée au gẽtilhomme, dont vous auez ſoupçon : car vous ne le pouuez ny ne deuez croire, veu l’experience qu’auiourd’huy en auez euë, mais ie deſire bien vous dire l’occaſion de ceſte amitié. Entendez, monſieur, que iamais femme n’aima tant ſon mary que ie vous ay aimé : car depuis que ie vous ay eſpouſé iufques à ceſte aage cy, il ne fut iamais entré en mon cueur autre amour que la voſtre. Vous ſçauez que moy eſtant enfant, mes parens me vouloient marier à perſonnage de plus grand’maiſon que vous, mais iamais ne m’y ſceurent faire accorder, des l’heure que i’eu parlé à vous : car contre leur opinion ie tins ferme pour vous auoir ſans regarder ny à voſtre pauureté, ny aux remonſtrances que me faiſoient mes parens. Et vous ne pouuez ignorer le traictement que i’ay eu de vous iuſques icy : & comme m’auez aimée & eſtimée, dont i’ay porté tant d’ennuy & de deſplaiſir que ſans l’aide de madame, auecques laquelle vous m’auez miſe ie fuſſe preſques deſeſperée. Mais à la fin me voyant grãde, & eſtimée belle d’vn chacũ, fors de vous ſeul, ie cõmençay à ſentir ſi viuement le tort que vous me faiſiez, que l’amour que ie vous portois c’eſt tourné en haine, & le deſir de vous cõplaire en celuy de vẽgeance. Et ſur ce deſeſpoir me trouua vn prince, lequel pour obeyr au Roy plus qu’à l’amour, me laiſſa à l’heure que ie commẽçois à ſentir la conſolation de mes tourmẽts, par vn amour hõneſte. Et au partir de luy, trouuay ceſtuy, qui n’eut point la peine de me prier : car ſa beauté, ſon honneſteté, & vertuz, meritent bien d’eſtre cherchée & requiſes de toutes femmes de bon entendement. A ma requeſte, & nõ à la ſienne, il m’a aimée auec autant d’honneſteté, qu’oncques en

ſa vie