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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

d’elle : & voyant que trois ou quatre femmes qu’elle auoit eſtoient endormies, ſaillit de ſa chãbre, & s’en va droict à la porte ou elle ouyt frapper. Et en demandant qui eſt-ce, fut reſpondu le nom de celuy qu’elle aimoit : mais pour en eſtre plus aſſeurée, ouure vn petit guichet, en diſant : Si vous eſtes celuy que vous me dites, baillez moy la main, ie la congnoiſtray bien. Et quand elle eut touché à la main de ſon mary, elle le congneut bien, & en fermant viſtemẽt le guichet, ſe print à crier : Ha monſieur, c’eſt voſtre main. Le mary luy reſpondit par grand courroux : Ouy, c’eſt la main qui vous tiendra promeſſe, parquoy ne faillez à venir quand ie vous manderay. En diſant ceſte parolle s’en alla à ſon logis, & elle retourna en ſa chambre plus morte que viue, & diſt tout hault à ſes femmes : Leuez vous mes amies, vous auez trop dormy pour moy : car en vous cuidant tromper, ie me fuis trompée la premiere : en ce diſant ſe laiſſa tomber au millieu de la chambre eſuanouye. Les pauures femmes ſe leuerent à ce cry, tant eſtonnées de veoir leur maiſtreſſe comme morte, couchée en terre, & d’auoir ouy les propos qu’elle auoit tenuz, qu’elles ne ſceurent que faire, ſinon que de courir aux remedes pour la faire reuenir. Et quand elle peut parler, elle leur diſt : Auiourd’huy voyez vous mes amies, la plus malheureuſe creature, qui ſoit ſur la terre : & leur va compter toute ſa fortune, les priant la vouloir ſecourir, car elle tenoit ſa vie pour perdue. Et la cuidans reconforter arriua vn varlet de chambre de ſon mary, par lequel il luy mandoit qu’elle allaſt incontinent vers luy. Elle en embraſſant deux de ſes femmes commẽça à crier & à plourer, les prians ne la laiſſer point aller, car elle eſtoit ſeure de mourir. Mais le varlet de chambre l’aſſeura que non, & qu’il prenoit ſur ſa vie qu’elle n’auroit nul mal. Elle voyant qu’il n’y auoit point de reſiſtence, ſe ietta entre les bras de ce ſeruiteur, luy diſant : mon amy puis qu’il le fault, portez ce malheureux corps à la mort. Et à l’heure demy eſuanouye de triſteſſe, fut emportée du varlet au logis de ſon maiſtre : aux pieds duquel tomba ceſte pauure dame, luy diſant. Monſieur, ie vous ſupplie auoir pitié de moy, & ie vous iure la foy que ie doy à Dieu, que ie vous diray la verité du tout. A l’heure luy diſt, comme vn homme deſeſperé : par Dieu vous me la direz, & chaſſa dehors tous ſes gens. Et pour