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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

place, vous ne pouuez eſtre amy parfaict, & d’vn imparfaict ie ne veux faire vn amy. Car i’aime parfaictement, comme i’auois deliberé de vous aimer, dont ſuis contrainte vous dire à Dieu, mõſieur, duquel la craincte ne merite la franchiſe de mon amytié. Ainſi s’en alla pleurant ce ſeigneur, & en ſe retournant aduiſa encores le mary eſtant à la feneſtre, qui l’auoit veu entrer à la ſalle & ſaillir. Parquoy luy compta le lendemain l’occaſion pourquoy il eſtoit allé veoir ſa femme & le commandement que le Roy luy auoit faict, dont le gentil-homme fut fort content, & en remercia le Roy. Mais voyant de iour en iour que ſa femme embelliſſoit, & luy deuenoit vieil & amoindriſſoit ſa beauté, commença à changer de rolle, prenant celuy que long temps il auoit faict iouër à ſa femme : car il la cheriſſoit plus que de couſtume, & prenoit plus pres garde ſur elle. Mais tant plus qu’elle ſe voioit cherhée de luy, & plus le fuyoit, deſirant luy rẽdre partie des ennuiz qu’elle auoit euz pour eſtre de luy peu aimée. Et pour ne prendre ſi toſt le plaiſir, que l’amour luy commençoit à donner, s’en va adreſſer à vn ieune gentil homme ſi tresbeau, ſi bien parlant, & de ſi bonne grace, qu’il eſtoit aimé de toutes les dames de la court. Et en luy faiſant ſes complainctes de la façon dont elle auoit eſté traictée, l’incita d’auoir pitié d’elle, en ſorte que ce gentil-homme n’oublia rien pour eſſayer à la reconforter. Et elle pour ſe recompenſer de la perte d’un prince qui l’auoit laiſſée, ſe meit à aimer ſi fort ce gentilhomme qu’elle oublia ſon ennuy paſſé, & ne penſoit ſinon à finement conduire ſon amitié. Ce qu’elle ſceut ſi bien faire, que iamais ſa maiſtreſſe ne s’en apperceut, car en ſa preſence ſe gardoit bien de parler à luy. Mais quand elle luy vouloit dire quelque choſe, s’en alloit veoir quelques dames qui demeuroient à la court, entre leſquelles y en auoit vne, dont ſon mary feignoit d’eſtre amoureux. Or vn ſoir apres ſoupper qu’il faiſoit bien obſcur, ſe deſrobba ladicte dame ſans appeller compaignie, & entra en la chambre des dames, ou elle trouua celuy qu’elle aimoit mieux que ſoy-meſmes : & en ſe ſeant aupres de luy appuyée ſur vne table, parloient enſemble, feignans de lire en vn liure. Quelqu’vn que le mary auoit mis au guet, luy vint rapporter ou ſa femme eſtoit allée : & luy qui eſtoit ſage s’y en alla le pluſtoſt qu’il peut. En entrant en la chambre ueid

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