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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES

ſçauez, mes dames, qu’ennuy occupe ioye, & auſsi qu’ennuy par ioye prend fin. Parquoy vn iour aduint qu’vn grand ſeigneur parent prochain de la maiſtreſſe de ceſte dame, & qui ſouuent la frequentoit, entendant l’eſtrange façon de viure du mari de ceſte dame, en eut tant de pitié qu’il ſe voulut eſſaier à la conſoler, & en parlant auec elle, la trouua ſi belle & vertueuſe qu’il deſira beaucoup plus d’eſtre en ſa bõne grace, que de luy parler de ſon mary, ſinon pour luy monſtrer le peu d’occaſion qu’elle auoit de l’aimer. Ceſte dame ſe voyant delaiſſée de celuy qui la deuoit aimer, & d’autre coſté aimée & requiſe d’vn ſi grand & beau prince, s’eſtima biẽ heureuſe d’eſtre en ſa bonne grace. Et combien qu’elle euſt touſiours deſir de conſeruer ſon honneur, ſi prenoit elle grand plaiſir de parler à luy, & de ſe veoir aimée : choſe dont elle eſtoit quaſi affamée. Ceſte amitié dura quelque tẽps, iuſques à ce que le Roy s’en apperceut, qui auoit tant d’amitié au gentil-hõme, qu’il ne vouloit ſouffrir que nul luy feiſt honte & deſplaiſir. Parquoy il pria fort ce prince d’en vouloir oſter ſa fantaſie, & que s’il continuoit, il ſeroit treſmal content de luy. Ce prince qui aimoit trop plus la bonne grace du Roy, que toutes les dames du monde, luy promiſt que pour l’amour de luy abandonneroit ſon entrepriſe, & que des le ſoir il iroit prẽdre congé d’elle. Ce qu’il feit, ſi toſt qu’il ſceut qu’elle eſtoit retirée en ſon logis, auquel eſtoit logé le gentil-homme en vne chambre ſur la ſienne. Et eſtant au ſoir à la feneſtre, veid entrer le prince en la chambre de ſa femme qui eſtoit ſous la ſienne, mais le prince qui bien l’aduiſa, ne laiſſa d’y entrer. Et en diſant à dieu à celle dont l’amour ne faiſoit que cõmencer, luy allega pour toutes raiſons le cõmandemẽt du Roy. Apres pluſieurs larmes & regrets, qui durerent iuſques à vne heure apres minuict, la dame luy diſt pour concluſion : Ie louë Dieu, monſieur, dõt il luy plaiſt que vous perdiez ceſte opinion, puis qu’elle eſt ſi petite & foible que vous la pouuez prendre & laiſſer par le cõmandement des hommes. Car quant à moy ie n’ay point demandé conſeil, ny à maiſtreſſe, ny à mary, ny à moy-meſmes pour vous aimer : car amour s’aidant de voſtre beauté & honneſteté, a eu telle puiſſance ſur moy, que ie n’ay cogneu autre Dieu ne Roy que luy. Mais puis que voſtre cueur n’eſt pas remply de ſi vraye amour, que craincte n’y trouue encores quelque

place,