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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

garda quelques iours le lict : & en recouurant ſa ſanté, donna congé à ſon premier ſeruiteur, le fondant ſur la crainte qu’elle auoit euë de la mort, & le remord de conſcience : & ſ’arreſta au ſeigneur de Bonnyuet, dont l’amitié dura (ſelon la couſtume) comme la beauté des fleurs des champs.

Il me ſemble, mes dames, que les fineſſes du gentilhomme valent bien l’hypocriſie de ceſte dame, qui apres auoir tant contrefaict la femme de bien, ſe declara ſi folle. Vous direz ce qu’il vous plaira des femmes (diſt Emarſuitte) mais ce gentilhomme feit vn tour meſchant. Eſt il dict que ſi vne dame en aimoit vn, que l’autre le doiue auoir par fineſſe ? Croyez (ce diſt Guebron) que telles marchandiſes ne ſe peuuent mettre en vente, qu’elles ne ſoient emportées par les plus offrans & derniers encheriſſeurs. Ne penſez pas que ceulx qui pourſuyuent des dames, prennent tant de peine pour l’amour d’elles, non non : car c’eſt ſeulement pour l’amour d’eulx & de leur plaiſir. Par ma foy, diſt Longarine, ie vous en croy : car pour vous en dire la verité, tous les ſeruiteurs que i’ay eu, m’ont touſiours commencé leurs propos par moy, monſtrans deſirer ma vie, mon bien, mon honneur : mais la fin en a eſté par eulx, deſirans leur plaiſir & leur gloire. Parquoy le meilleur eſt de leur donner congé des la premiere partie de leur ſermon : car quand on vient à la ſeconde, on n’a pas tant d’honneur à les refuſer, veu que le vice de ſoy, quand il eſt cogneu, eſt refuſable. Il fauldroit doncques, dict Emarſuitte, que des qu’vn homme ouure la bouche qu’on le refuſaſt, ſans ſçauoir qu’il veult dire. Parlamente luy reſpondit : Ma compagne, ne l’entendez pas ainſi : car on ſçait bien que des le commencement vne femme ne doit pas iamais faire ſemblant d’entendre ou l’homme veult venir, ne encores quand il l’a declaré, de le pouuoir croire : mais quãd il vient à en iurer bien fort, il me ſemble qu’il eſt plus honneſte aux dames de le laiſſer en ce beau chemin, que d’aller iuſques à la vallée. Voire mais, diſt Nomerfide, deuons nous croire par lá qu’ils nous aiment par mal ? eſt-ce pas peché, que de iuger ſon prochain ? Vous en croirez ce qu’il vous plaira, diſt Oiſille : mais il fault tant craindre qu’il ſoit vray, que des que vous en apperceuez quelque eſtincelle, vous deuez fuyr ce feu, qui a pluſtoſt bruſlé vn cueur, qu’il ne ſ’en eſt apperceu. Vrayement,

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