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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES

en lieu ne feſtin ou elle fuſt, ſinon en maſque : car elle ſçauoit bien qu’elle auroit ſi grand honte, que ſa contenance la declareroit à tout le monde. Il luy en feit promeſſe, & auſsi la pria que quand ſon amy viendroit à deux heures, qu’elle luy feiſt bonne chere, & puis peu à peu elle s’en pourroit desfaire. Dont elle feit ſi grãde difficulté, que ſans l’amour qu’elle luy portoit, pour rien elle ne l’euſt accordé. Toutesfois en luy diſant à Dieu, la rendit ſi ſatisfaicte, qu’elle euſt bien voulu qu’il y fuſt demeuré plus longuement. Apres qu’il fut leué, & qu’il eut reprins ſes habillemens, ſaillit hors de la chambre, & laiſſa la porte entreouuerte comme il l’auoit trouuée. Et pource qu’il eſtoit pres de deux heures apres mynuict, & qu’il auoit peur de trouuer le gentilhomme en ſon chemin, ſe retira au haut du degré, ou bien toſt apres il veid paſſer & entrer en la chambre de ſa dame. Et luy ſ’en alla en ſon logis pour repoſer ſon trauail : ce qu’il feit, de ſorte que neuf heures du matin le trouuerent au lict. Ou à ſon leuer arriua le gentilhomme, qui ne faillit à luy compter ſa fortune, non ſi bonne comme il l’auoit eſperée. Car il diſt, que quand il entra en la chambre de ſa dame, il la trouua leuée en ſon manteau de nuict, auec vne bien groſſe fiebure, le poux fort eſmeu, le viſage en feu, & en la ſueur qui commẽçoit fort à luy prɐ̃dre, de ſorte qu’elle le pria s’en retourner incontinent : car de peur d’inconuenient n’auoit oſé appeller ſes femmes, dont elle eſtoit ſi mal, qu’elle auoit plus de beſoing de penſer à la mort, qu’à l’amour, & d’ouïr, parler de Dieu, que de Cupido : eſtant bien marrie du hazard ou il s’eſtoit mis, pour elle, veu qu’elle n’auoit puiſſance en ce monde de luy rɐ̃dre ce qu’elle eſperoit faire bien toſt en l’autre. Dont il fut ſi eſtonné & marry, que ſon feu & ſa ioye eſtoient conuertiz en glace & triſteſſe, & s’en eſtoit incõtinent departy. Et au matin au poinct du iour, auoit enuoyé ſçauoir de ſes nouuelles, & que pour vray elle eſtoit treſmal. Et en racomptant ces douleurs, pleuroit ſi tresfort qu’il ſembloit que l’ame ſ’en deuſt aller par ſes larmes. Bonnyuet qui auoit autant enuie de rire que l’autre de plorer, le conſola le mieux qu’il luy fut poſsible, luy diſant, que les choſes de longue durée ont touſiours vn commencement difficile & qu’amour luy faiſoit vn retardemẽt pour luy faire trouuer la iouïſſance meilleure, & en ces propos ſe departirent. La dame

garda