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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

reries, ce qu’il veid par le coing du rideau, ſans eſtre apperceu d’elle : car il y auoit vn grand flambeau de cyre blanche, qui rendoit la chambre claire cõme de iour. Et de peur d’eſtre cogneu d’elle, eſteingnit premieremẽt le flambeau, qui ardoit en ſa chãbre, puis ſe deſpouilla en chemiſe, & ſ’alla coucher aupres d’elle. Elle qui cuydoit que ce fuſt celuy qui ſi longuement l’auoit aimée, le receut en la meilleure chere qui fut à elle poſsible. Mais luy qui ſçauoit bien que c’eſtoit au nom de l’autre, ſe garda de luy dire vn ſeul mot, & ne penſa que mettre ſa vẽgeance à execution : c’eſtoit de luy oſter ſon honneur & ſa chaſteté, ſans luy en ſçauoir gré ne grace. Mais contre ſon gré & deliberation, la dame ſe tenoit ſi contente de ceſte vengeance, qu’elle penſoit l’auoir recõpenſé de ſes labeurs, iuſques à vne heure apres mynuict ſonné, qu’il eſtoit temps de dire à Dieu. Et à l’heure le plus bas qu’il peut, luy demanda ſi elle eſtoit auſsi contente de luy, que luy d’elle. Elle cuidant que ce fuſt ſon amy, luy diſt, que non ſeulement elle eſtoit cõtente, mais eſmerueillée de la grandeur de ſon amour, qui l’auoit gardé vne heure ſans parler à elle. A l’heure il ſe print à rire bien fort, luy diſant : Or ſus, madame, me refuſerez vous vne autre fois, comme vous auiez accouſtumé de faire, iuſques icy. Elle qui le congneut à la parolle & au riz, fut deſeſperée de honte qu’elle auoit, & l’appella plus de mil fois meſchant traiſtre, & trompeur, ſe voulant ietter du lict en bas, pour chercher vn couteau pour ſe tuer, veu qu’elle eſtoit ſi malheureuſe d’auoir perdu ſon honneur, pour vn homme qu’elle n’aimoit point, & qui pour ſe venger d’elle pourroit diuulguer ceſt affaire par tout le monde : Mais il l’a retint entre ſes bras, & par bonnes & doulces parolles l’aſſeura de l’aimer plus que celuy qui l’aimoit, & de celer ce qui touchoit ſon honneur, ſi bien qu’elle n’en auroit iamais blaſme. Ce que la pauure ſotte creut, & entendant de luy l’inuention qu’il auoit trouuée, & la peine qu’il auoit priſe pour la gaigner, luy iura qu’elle l’aimeroit mieulx que l’autre, qui n’auoit ſceu celer ſon ſecret. Et diſt qu’elle congnoiſſoit le contraire du faulx bruit que lon donnoit aux François : car ils eſtoient plus ſages, perſeuerans, & diſcrets, que les Italiens. Parquoy d’oreſnauant elle ſe deportoit de l’opinion de ceux de ſa nation, pour ſ’arreſter à luy. Mais elle le pria bien fort, que pour quelque temps il ne ſe trouuaſt