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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

ſorty vn tel bien, qu’elle ne la peut preſenter à ma dame la Regente, mais la bailla à vn autre, & ſe retira en vne chapelle ou elle paſſa l’enuie qu’elle auoit de rire.

Il me ſemble, mes dames, que celles à qui on preſente de telles choſes deuroient deſirer à en faire œuures qui vinſſent à ſi bõne fin, qu’il feit à ceſte bõne dame. Car elles trouueroiẽt que les biens faicts, ſont les ioyes des biẽs faiſans. Et ne fault point accuſer ceſte dame de tromperie, mais eſtimer de ſon bon ſens, qui cõuertit en bien ce qui de ſoy ne valoit rien. Voulez vous dire, ce diſt Nomerfide, qu’vn beau diamant de deux cẽs eſcuz ne vault rien ? Ie vous aſſeure que s’il fuſt tombé entre mes mains, ſa femme ny ſes parens n’en euſſent iamais rien veu. Il n’eſt rien mieux à ſoy que ce qui eſt donné. Le gentil-homme eſtoit mort, perſonne n’en ſçauoit rien, elle ſe fuſt bien paſsée de faire tant pleurer ceſte pauure vieille. Et en bonne foy, diſt Hircan, vous auez raiſon, car il y a des femmes qui pour ſe mõſtrer plus excellentes que les autres, font des œuures apparentes contre leur naturel, car nous ſçauons bien tous qu’il n’eſt rien ſi auaricieux que la femme. Toutesfois leur gloire paſſe ſouuent leur auarice, qui force leurs cueurs à faire ce qu’elles ne veulent. Et croy que celle qui laiſſa auſsi le diamant, n’eſtoit pas digne de le porter. Hola, hola, diſt Oiſille, ie me doute bien qui elle eſt, parquoy ie vous prie ne la condamnez point ſans veoir. Ma dame, diſt Hircan : Ie ne la condamne point, mais ſi le gentil-homme eſtoit autant vertueux que vous dictes, elle eſtoit honorée d’auoir vn tel ſeruiteur, & de porter ſon anneau : mais peult eſtre qu’vn moins digne d’eſtre aimé, la tenoit ſi bien par le doigt, que l’anneau ny pouuoit entrer. Vrayement ce diſt Emarſuitte, elle le pouuoit bien garder, puis que perſonne n’en ſçauoit rien. Comment ? ce diſt Guebron, toutes ces choſes à ceux qui aiment ſont elles licites, mais qu’on n’en ſçache rien ? Par ma foy, diſt Saffredent : Ie ne vis onques meffaict puny ſinon la ſottie, car il n’y a meurtrier, larron, ny adultere, mais qu’il ſoit auſsi fin que mauuais, qui ſoit iamais reprins par iuſtice, ne blaſmé entre les hommes : mais ſouuent la malice eſt ſi grande, qu’elle les aueugle : de forte qu’ilz deuiennent ſotz, & (comme i’ay dict) ſeulemẽt les ſots ſont punis, & nõ les vicieux. Vous en direz ce qu’il vous plaira, ce diſt Oiſille, Dieu

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