Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/124

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES

en demãdãt y eſtre receu, cõbien qu’il fuſt ſeul eſchapé de quatre-vingts, fut refuſé par le traiſtre cõpaignon. Mais luy qui ſçauoit fort bien nager ſe ietta dedans la mer, & feiſt tant qu’il fut receu dans vn petit vaiſſeau & au bout de quelque temps guary de ſes playes. Et par ce pauure eſtrangé fut la verité cogneuë entieremẽt à l’honneur du capitaine, & à la honte de ſon compaignon, duquel le Roy & tous les gens de bien qui en ouyrẽt parler, iugerent la meſchanceté ſi grande enuers Dieu & les hommes, qu’il n’y auoit mort dont il ne fut digne. Mais à ſa venuë donna tant de choſes faulces à entendre auec force preſens, que non ſeulement ſe ſauua de punition, mais eut la charge de celuy qu’il n’eſtoit digne de ſeruir de varlet. Quand ceſte piteuſe nouuelle vint à la court, ma dame la regente qui l’eſtimoit fort, le regretta merueilleuſemẽt, auſsi feit le Roy & tous les gens de biẽ qui le cognoiſſoient. Et celle que plus il aimoit oyant vne ſi piteuſe & chreſtienne mort, changea la dureté du propos qu’elle auoit deliberé de luy tenir en larmes & lamentations : à quoy ſon mary luy tint compagnie, ſe voyãs fruſtrez de l’eſpoir de leur voyage. Ie ne veux oublier qu’vne damoiſelle qui eſtoit à ceſte dame, laquelle aimoit ce gentil-hõme nommé Iean plus que ſoy meſmes, le propre iour que les deux gentils-hommes furent tuez vint dire à ſa maiſtreſſe qu’elle auoit veu en ſonge celuy qu’elle aimoit tant, veſtu de blanc, lequel luy eſtoit venu dire à dieu, & qu’il s’ẽ alloit en paradis auec ſon capitaine. Mais quand elle ſceut que ſon ſonge eſtoit veritable, elle feit vn tel dueil, que ſa maiſtreſſe auoit aſſez affaire à la cõſoler. Au bout de quelque temps la court alla en Normandie d’ou eſtoit le gentil-homme, la femme duquel ne faillit à venir faire la reuerence à ma dame la regente. Et pour y eſtre preſentée, s’adreſſa à la dame que ſon mary auoit tãt aimée. Et en attendant l’heure propre en vne Egliſe, commença à regretter & louer ſon mary, & entre autres choſes luy diſt : Helas madame ! mon malheur eſt le plus grand qui aduint oncques à femme. Car à l’heure qu’il m’aimoit plus qu’il n’auoit iamais faict, Dieu me l’a oſté. Et en ce diſant monſtra l’anneau qu’elle auoit au doigt, comme l’enſeigne de la parfaicte amitié, qui ne fut ſans grandes larmes, dont la dame quelque regret qu’elle en euſt auoit tãt d’enuie de rire, veu que de ſa tromperie eſtoit

ſorty