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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES

anneau à la conſcience de ce capitaine. Elle depeſcha incontinent vn ſien ſeruiteur, qu’elle enuoya à la deſolée femme de ce capitaine, en feignant que ce fuſt vne religieuſe de Taraſcon, & luy eſcriuit vne telle lettre ! Ma dame, monſieur voſtre mary eſt paſsé par cy vn peu auant ſon embarquement. Et apres s’eſtre confeſſé, & receu ſon createur comme bon Chreſtien, m’a declaré vn fais qu’il a ſur ſa conſcience, c’eſt le regret de ne vous auoir tant aimée comme il deuoit. Et me pria & coniura à ſon partement de vous enuoyer ceſte lettre auec ce diamant, lequel il vous prie garder pour l’amour de luy, vous aſſeurant que ſi Dieu le faict retourner en ſanté, iamais femme ne fut mieux traictée d’homme que vous ſerez de luy, & ceſte pierre de fermeté vous en fera foy pour luy. Ie vous prie l’auoir pour recommandé en voz bonnes prieres, car aux miennes il aura part toute ma vie. Ceſte lettre parfaicte, & ſignée au nom d’vne religieuſe, fut enuoyée par la dame à la femme du capitaine. Et quand la bonne vieille vit la lettre & l’anneau, il ne fault demander combien elle pleura de ioye & de regret d’eſtre aimée & eſtimée de ſon mary, de la veuë duquel elle ſe voyoit eſtre priuée. Et en baiſant l’anneau plus de mil fois, l’arrouſoit de ſes larmes, beniſsãt Dieu qui ſur la fin de ſes iours luy auoit redonné l’amitié de ſon mary, laquelle elle auoit tenuë pour perdue par long temps, en remerciant auſsi la religieuſe qui eſtoit cauſe de tant de bien. A laquelle feit la meilleure reſponſe qu’elle peut, que le meſſager en bonne diligence reporta à ſa maiſtreſſe, qui ne la leut ny n’entendit ce que luy diſt ſon ſeruiteur ſans rire bien fort. Et ſe contenta d’eſtre deffaicte de ſon diamant par vn ſi profitable moyen, que de reünir le mary & la femme en bonne amitié, & luy ſembla par cela auoir gaigné vn royaume. Vn peu apres vindrent nouuelles de la deffaicte & mort du pauure capitaine, & comme il auoit eſté habandoné de ceux qui le deuoient ſecourir, & ſon entreprinſe reuelée par les Rhodiens, qui plus la deuoient tenir ſecrette, en telle ſorte que luy & tous ceux qui deſcendirẽt en terre, qui eſtoiẽt en nombre de quatre vingts, entre leſquels eſtoit vn gentil-homme nõmé Iean, & vn Turc tenu ſur les fons par ladicte dame, leſquels deux elle auoit donnez au capitaine pour faire le voyage auec luy, dont l’vn mourut auec luy, & le Turc auec

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