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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

A tout le moins ſi tu ne peux le tout,
Luy racompter, prend toy à quelque bout,
Et di ainſi : Crainte de te desplaire
M’a fait long tẽps malgré mon vouloir taire
Ma grande amour qui deuant ton merite
Et deuant Dieu & ciel doit eſtre dicte.
Car la vertu en eſt le fondement,
Qui me rend doux mon trop cruel tourmẽt,
Veu que lon doibt vn tel treſor ouurir
Deuant chacun, & ſon cueur deſcouurir.
Car qui pourroit vn tel amant reprendre
D’avoir osé vouloir entreprendre,
D’acquerir dame en qui la vertu toute
Voire & l’hõneur faict ſon ſeiour ſans doute ?
Mais au contraire on doit bien fort blaſmer
Celuy qui voit vn tel bien ſans l’aimer.
Or l’ai-ie veu & l’aime d’vn tel cueur,
Qu’amour ſans plus en a eſté vainqueur.
Las ! ce n’eſt point amour leger ou feinct
Sur fondement de beauté, fol, & peinct :
Encores moins ceſt amour qui me lie,
Regarde en rien la vilaine follie.
Point n’eſt fondé en vilaine eſperance
D’auoir de toy aucune iouiſſance
Car rien n’y a au fonds de mon deſir,
Qui contre toy ſouhaitte aucun plaiſir.
I’aymerois mieux mourir en ce voyage,
Que te ſcauoir moins vertueuſe ou ſage,
Ne que pour moy fuſt moindre la vertu,
Dont ton corps eſt, & ton cueur reueſtu.
Aimer te veux comme la plus parfaicte

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