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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES

Qu’il n’y en eut oncques de telle ſorte.
Que diras-tu ? O parler trop hardi.
Que diras-tu ? Ie te laiſſe aller, di.
Pourras-tu bien luy donner cognoiſſance
De mon amour ? Las ! tu n’as la puiſſance
D’en monſtrer la milieſme part :
Diras-tu point au moins que ſon regard
A retiré mon cueur de telle force,
Que mon corps n’eſt plus qu’vne morte eſcorce,
Si par le ſien ie n’ay vie & vigueur ?
Las ! mon parler foible, & plain de langueur
Tu n’as pouuoir de bien au vrai luy peindre,
Comment ſon œil peult vn bon cueur contraindre.
Encores moins à louer ſa parolle,
Ta puiſſance eſt pauure debile, & molle.
Si tu pouuois au moins luy dire vn mot
Que bien ſouuent (comme muet & ſot)
Sa bonne grace & vertu me rendoit,
Et à mon œil qui tant la regardoit
Faiſoit ietter par grand amour les larmes,
Et à ma bouche außi changer ſes termes :
Voire & en lieu de dire que l’aimois,
Ie luy parlois des ſignes & des mois
Et de l’eſtoille Arctique & Antarticque.
O mon parler tu n’as pas la praticque
De luy compter en quel eſtonnement
Me mettois lors mon amoureux tourment,
De dire auſsi mes maux & mes douleurs.
Il n’y a pas tant de valeurs,
De declarer ma grande & forte amour,
Tu ne ſcaurois me faire vn ſi bon tour.

A tout