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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES

mais tout ſon corps, iectoient larmes. Et ainſi ſans parler ſe departirent, dont la dame demoura fort eſtonnée : car elle n’auoit iamais veu vn tel ſigne de regret. Toutesfois point ne changea ſon bon propos enuers luy, & l’acompaigna de prieres & oraiſons. Au bout d’vn mois ainſi que la dame retournoit en ſon logis, trouua vn gentilhomme qui luy preſenta vne lettre de par le capitaine, la priant qu’elle la vouluſt veoir apart, & luy diſt comme il l’auoit veu embarquer, bien deliberé de faire choſe aggreable au Roy & à l’augmentation de la foy : & que de luy il ſ’en retournoit à Marſeille pour donner ordre aux affaires dudict capitaine. La dame ſe retira à vne feneſtre à part & ouurit ſa lettre de deux fueilles de papier eſcrite de tous coſtez, en laquelle y auoit l’epiſtre qui ſ’enſuit.

Mon long celer, ma taciturnité,
Apporté m’a telle neceßité.
Que ie ne puis trouuer nul reconfort
Fors de parler, ou de ſouffrir la mort.
Ce parler là auquel i’ay defendu
De ſe monſtrer à toy, a attendu,
De me veoir ſeul, & de mon ſecours loing.
Et lors ma dict qu’il eſtoit de beſoing
De le laiſſer aller ſ’eſuertuer,
De ſe monſtrer, ou bien de me tuer.
Et a plus faict, car il ſ’est venu mettre
Au beau millieu de ceste mienne lettre,
Et dict, que puis que mon œil ne peult veoir,
Celle qui tient ma vie en ſon pouuoir,
Dont le regard ſans plus me contentoit,
Quand ſon parler mon oreille eſcoutoit,
Que maintenant par force il ſaillira
Deuant tes yeulx ou poinct ne faillira,
De te monſtrer mes plainctes & douleurs,
Dont le celer est cauſe que ie meurs.

Ie l’ay