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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES

les Turcs, & pourchaſſoit enuers le Roy de France vne entreprinſe ſur vne de leurs villes, dont il pouuoit venir grand profit à la Chreſtienté. Ce vieux gentilhomme luy demãda de ſon voyage. Et apres qu’il eut entendu ce qu’il eſtoit deliberé de faite, luy demanda ſi apres ce voyage il en voudroit faire vn autre en Ieruſalem, ou ſa femme & luy auoient grand deſir d’aller. Ce capitaine fut fort aiſe d’ouïr ce bon deſir, & luy promit de luy mener, & de tenir ceſt affaire ſecret. Il luy tarda bien qu’il ne trouuaſt ſa bonne femme, pour luy compter ce qu’il auoit faict : laquelle n’auoit gueres moins d’enuie que le voyage ſe paracheuaſt, que ſon mary. Et pour ceſte occaſion parloit ſouuent au capitaine, lequel regardant plus à elle qu’à ſa parolle, en fut ſi amoureux, que ſouuent en luy parlant des voyages qu’il auoit faicts ſur la mer, mettoit l’embarquement de Marſeille auec l’Archipelle : & en voulant parler d’vn nauire, parloit d’vn cheual, comme celuy qui eſtoit rauy & hors de ſon ſens : mais il la trouuoit telle qu’il ne luy en oſoit parler, ny faire ſemblant. Et ſa diſsimulation luy engendra vn tel feu dedans le cueur, que ſouuent il tomboit malade, dont ladicte damoiſelle eſtoit auſsi ſoigneuſe comme de la croix & guide de ſon chemin : & l’enuoyoit ſi ſouuent viſiter, que congnoiſſant qu’elle auoit ſoing de luy, le gueriſſoit ſans nulle autre medecine. Mais plusieurs perſonnes voyãs ce capitaine, qui auoit eu le bruit d’eſtre, plus hardy & gentil compaignon, que bon Chreſtien, ſ’emerueillerent comme ceſte dame l’acoſtoit ſi fort. Et voyans qu’il auoit changé de toutes conditions, & qu’il frequẽtoit les Egliſes, les ſermons, & confeſsions, ſe doubterent que c’eſtoit pour auoir la bonne grace de la dame, & ne ſe peurẽt tenir de luy en dire quelques parolles. Ce capitaine craignant que ſi la dame en entendoit quelque choſe, cela la ſeparaſt de ſa preſence, diſt à ſon mary & elle, comme il eſtoit preſt d’eſtre deſpeſché du Roy, & de ſ’en aller, & qu’il auoit pluſieurs choſes à luy dire : mais à fin que ſon affaire fuſt tenu plus ſecret, il ne vouloit plus parler à luy ne à ſa femme deuant les gens : mais les pria de l’enuoyer querir quand ilz feroient retirez tous deux. Le gentilhomme trouua ſon opinion bõne, & ne failloit tous les ſoirs de ce coucher de bonne heure, & faire deshabiller ſa femme. Et quand tous les gens eſtoient retirez, enuoyoient querir le

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