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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

propre vie. Et doiuent bien craindre les princes, & ceux qui ſont en auctorité, de faire deſplaiſir à moindres qu’eux. Car il n’y a nul qui ne puiſſe nuire quand Dieu ſe veult venger du pecheur, ne ſi grand qui ſceuſt mal faire à celuy qui eſt en ſa garde. Ceſte hiſtoire fut bien eſcoutée de toute la cõpaignie, mais elle y engẽdra diuerſes opinions. Car les vns ſouſtenoient, que le gentilhomme auoir faict ſon deuoir de ſauuer ſa vie & l’honneur de ſa fœur, enſemble d’auoir deliuré ſa patrie d’vn tel tyrã. Les autres diſoiẽt que non, mais que c’eſtoit vne trop grãde ingratitude de mettre à mort celuy qui luy auoit faict tãt de bien & d’honneur. Les dames diſoient qu’il eſtoit bon frere & vertueux citoyen. Les hommes au contraire, qu’il eſtoit traiſtre & mauuais ſeruiteur : & faiſoit fort bon ouyr alleguer les raiſons des deux coſtez, mais les dames ſelon leur couſtume parloient autant par paſsion que par raiſon, diſans que le Duc eſtoit digne de mort, & que bien heureux eſtoit celuy qui auoit faict le la coup. Parquoy voyant Dagoucin le grand debat qu’il auoit eſmeu, diſt : Pour Dieu, mes dames, ne prenez point de querelle d’vne choſe deſia paſsée : mais gardez que voz beautez ne facent point faire de plus cruels meurtres, que celuy que i’ay cõpté. Parlamente diſt : La belle dame ſans mercy nous a aprins à dire, que ſi gratieuſe maladie, ne mect gueres de gens à mort. Pleuſt à Dieu, diſt Dagoucin, ma dame, que toutes celles qui ſont en ceſte compaignie ſceuſſent combien ceſte opinion eſt faulſe. Ie croy qu’elles ne voudroient point auoir le nom d’eſtre ſans mercy, ne reſſembler à ceſte incredule, qui laiſſa mourir vn bon ſeruiteur par faulte d’vne gratieuſe reſponſe. Vous voudriez donc diſt Parlamente, pour ſauuer la vie d’vn qui dict nous aimer, que nous miſsions noſtre honneur & conſcience en danger. Ce n’eſt pas ce que ie vous dy, diſt Dagoucin, car celuy qui aime parfaictement, craindroit plus bleſſer l’honneur de ſa dame, qu’elle meſme. Parquoy il me ſemble bien, qu’vne reſponſe honneſte & gratieuſe, telle que parfaicte & honneſte amitié requiert, n’y pourroit qu’accroiſtre l’honneur & amender la conſcience, car il n’eſt pas vray ſeruiteur qui cherche le contraire. Toutesfois, diſt Emarſuitte, c’eſt touſiours la fin de voz raiſons, qui commencent par honneur, & finent par le cõtraire. Et ſi tous ceux qui ſont icy en veullent dire la verité, ie

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