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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

il eſperoit la conſeruation de ſa vie, va veoir la precipitation de ſa mort, qui eſtoit vne eſpée toute nuë, que le gentilhomme auoit tirée, de laquelle il frappa le Duc, qui eſtoit tout en chemiſe. Lequel deſnué d’armes & non de cueur, ſe meit en ſon ſeãt dedans le lict, & print le gentil-hõme à trauers le corps, en luy diſant : Eſt-ce cy la promeſſe que vous me tenez ? Et voyant qu’il n’auoit autres armes que les dents, & les ongles, mordit le gentil-homme au poulce, & à force de bras ſe deffendit tant, que tous deux tomberent en la ruelle du lict. Le gentil-hõme qui n’eſtoit trop aſſeuré, appella ſon ſeruiteur : lequel trouuant le Duc & ſon maiſtre ſi liez enſemble, qu’il ne ſçauoit lequel choiſir, les tira tous deux par les pieds au milieu de la place, & auec ſon poignard s’eſſaya à coupper la gorge du Duc, lequel ſe defendit iuſques à ce que la perte de ſon ſang le rẽdit ſi foible qu’il n’en pouuoit plus. Alors le gentil homme & ſon ſeruiteur le mirent dedans ſon lict, ou à coups de poignards le paracheuerent de tuer. Puis tirant le rideau, s’en allerent & enfermerent le corps mort en ſa chambre. Et quand il ſe veit victorieux de ſon ennemy, par la mort duquel il penſoit mettre en liberté la choſe publicque, ſe penſa que ſon œuure ſeroit imparfaict, s’il n’en faiſoit autant à cinq ou ſix de ceux qui eſtoient des plus prochains du Duc. Et pour en venir à chef, diſt à ſon ſeruiteur, qu’il les allaſt querir l’vn apres l’autre, pour en faire cõme il auoit faict du Duc. Mais le ſeruiteur qui n’eſtoit hardy ny fort, diſt : Il me ſemble, mõſieur, que vous en auez aſſez faict pour ceſte heure, & que vous feriez mieux à penſer de ſauluer voſtre vie, que de la vouloir oſter à autres. Car ſi nous demeurions autãt à deffaire chacun d’eux, que nous auons faict à deffaire le Duc, le iour deſcouuriroit pluſtoſt noſtre entreprinſe, que ne l’aurions miſe à fin, encores que nous trouuiſsions noz ennemis ſans defence. Le gẽtil-homme, la mauuaiſe conſcience duquel le rendoit craintif, creut ſon ſeruiteur, & le menant ſeul auec luy, s’en alla à vn Eueſque, qui auoit charge de faire ouurir les portes de la ville, & commander aux poſtes. Ce gentil-homme luy diſt : i’ay eu ce ſoir des nouvelles que vn mien frere eſt à l’article de la mort, ie viens de demander congé au Duc, lequel le m’a donné : parquoy ie vous prie cõmander aux poſtes me bailler deux bons cheuaux, & au portier de la ville

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