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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES

perie elle n’eſtoit prinſe, ou par force : choſe qu’il trouuoit fort eſtrange, veu que luy & les ſiens en ſeroient diffamez. Parquoy print concluſion ſur ce different, qu’il amoit mieulx mourir, que de faire vn ſi meſchant tour à ſa ſœur, l’vne des plus femmes de bien qui fuſt en toute l’Italie. Mais que plutſot deuoit deliurer ſa patrie de tel tyrant, que par force vouloir mettre vne telle tache en ſa maiſon. Car il ſe tenoit aſſeuré que ſans faire mourir le Duc, la vie de luy & des ſiens n’eſtoit pas aſſeurée. Parquoy ſans en parler à ſa ſœur, delibera de ſauuer ſa vie, & venger ſa honte par vn meſme moyen. Et au bout de deux iours s’en vint au Duc, & luy diſt, comme il auoit tant bien praticqué ſa ſœur non ſans grande peine, qu’à la fin elle s’eſtoit cõſentie à ſa volonté, pourueu qu’il luy pleuſt tenir la choſe ſi ſecrette, que nul que ſon frere n’en euſt cognoiſſance. Le Duc qui deſiroit ceſte nouuelle, le creut facilement, & en embraſſant le meſſager, luy promiſt tout ce qu’il luy ſçauroit demander, le priant de bientoſt executer ſon entrepriſe, & prindrent le iour enſemble. Si le Duc fut aiſe, il ne le fault point demander. Et quand il veit approcher la nuict tant deſirée, ou il eſperoit auoir la victoire de celle qu’il auoit eſtimée inuincible, ſe retira de bõne heure auec ce gentil-hõme tout ſeul, & n’oublia pas de s’accouſtrer de coiffe, & de chemiſe perfumée, le mieux qu’il luy fut poſsible. Et quand chacun fut retiré, s’en alla auec le gentil-homme au logis de ſa dame, ou il y arriua en vne chãbre fort bien en ordre. Le gentil-hõme le deſpouilla de ſa robbe de nuict, & le meit dedãs le lict, luy diſant : Monſieur, ie vous vois querir celle qui n’entrera pas en ceſte chambre ſans rougir : mais i’eſpere que auant le matin, elle ſera aſſeurée de vous. Il laiſſa le Duc, & s’en alla en ſa chambre, ou il ne trouua qu’vn ſeul homme de ſes gens, auquel il diſt : Aurois tu bien le cueur de me ſuyure en vn lieu, ou ie me veux venger du plus grand ennemy que i’aye en ce monde ? L’autre ignorant qu’il vouloit faire, luy diſt ouy monſieur, & fuſt ce contre le Duc meſme. A l’heure le gentil-homme le mena ſi ſoudain, qu’il n’eut loiſir de prendre autres armes, qu’vn poignard qu’il auoit. Et quand le Duc l’ouyt reuenir, penſant qu’il luy amenaſt celle qu’il aimoit tant, ouurit vn rideau & ſes yeux pour regarder & receuoir le bien qu’il auoit tant attendu : mais au lieu de veoir celle dont

il eſpe-