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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

pluſtoſt, que de vous laiſſer mourir en tourment, & i’eſtime que l’amour que me portez, eſt reciprocque à la mienne. Et que ſi móy qui ſuis voſtre maiſtre vous porte telle affection, que pour le moins ne me la ſçauriez porter moindre. Parquoy ie vous declareray vn ſecret, dont le taire me met en tel eſtat que vous voyez, duquel ie n’eſpere amandement que par la mort, ou par le ſeruice qu’en ceſt endroit me pouuez faire. Le gentil-homme oyant les raiſons de ſon maiſtre, & voyant ſon viſage non feint tout baigné de larmes, en eut ſi grande compaſsion qu’il luy diſt : Monſieur, ie ſuis voſtre creature, tout le bien & l’honneur que i’ay vient de vous, vous pouuez parler à moy comme à voſtre amy, eſtant ſeur que ce qui ſera en ma puiſſance, eſt en voz mains. A l’heure le Duc commença à luy declarer l’amour qu’il portoit à ſa fœur, qui eſtoit ſi grande & ſi forte, que ſi par ſon moyen n’en auoit la iouyſſance, il ne voioit pas qu’il peuſt viure longuement. Car il ſçauoit bien qu’enuers elle, prieres, ne preſens ne ſeruoient de rien. Parquoy le pria que s’il aimoit ſa vie, autant que luy la ſienne, il trouuaſt moyen de receuoir le bien que ſans luy il n’eſperoit iamais auoir. Le frere qui aimoit ſa ſœur & l’honneur de ſa maiſon plus que le plaiſir du Duc, luy voulut faire quelque remõſtrance, le ſuppliant en tous autres endroicts l’employer, hors mis en vne choſe ſi cruelle à luy, que de pourchaſſer le deshonneur de ſon ſang. Et que ſon cueur & ſon honneur ne ſe pouuoient accommoder à luy faire ce ſeruice. Le Duc enflambé d’vn courroux importable, meit le doigt entre ſes dens ſe mordant l’ongle, & luy reſpondit par vne grande fureur : Or bien puiſque ie ne trouue en vous nulle amitié, ie ſçay que i’ay affaire. Le gentil-homme cognoiſſant la cruauté de ſon maiſtre, eut crainte, & luy diſt : Monſieur puis qu’il vous plaiſt ie parleray à elle, & vous diray la reſponce. Le Duc luy reſpondit en ſe departãt de luy. Si vous aimez ma vie, auſsi feray-ie la voſtre. Le gentilhomme entendit bien que ceſte parolle vouloit dire, & fut vn iour ou deux ſans veoir le Duc, pẽfant à ce qu’il auoit à faire. D’vn coſté luy venoit au deuant l’obligation qu’il debuoit à ſon maiſtre, les biens & honneurs qu’il auoit receuz de luy : de l’autre coſté l’honneur de ſa maiſon, l’honneſteté, & chaſteté de ſa ſœur, qu’il ſçauoit bien que iamais ne ſe conſentiroit à telle meſchanceté, ſi par trom-

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