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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES

d’autres propos recreatifs, & ſe ſentant pres de ſon heure, ne voulant pas que ces dames s’en allaſſent mal contentes de luy, il leur diſt : Or ça mes belles dames, mais que vous ſoyez tãtoſt à cacqueter parmy les commeres, vous demanderez : Mais qui eſt ce maiſtre frere, qui parle ſi hardiment ? C’eſt quelque bon compaignon. Ie vous diray mes dames, ie vous diray, ne vous en eſtonnez pas, non, ſi ie parle hardiment : car ie ſuis d’Aniou à voſtre commandement. Et en diſant ces mots, miſt fin à ſa predication, par laquelle il laiſſa ſes auditeurs plus prompts à rire, de ſes ſots propos, qu’à pleurer en la memoire de la Paſsion de noſtre ſeigneur, dont la commemoration ſe faiſoit en ces jours lá. Ses autres ſermons, durant les feſtes furent quaſi de pareille efficace. Et comme vous ſçauez que tels freres n’oublient pas à ſe faire queſter, pour auoir leurs œufs de paſques, en quoy faiſant on leur donne, non feulement des œufs, mais pluſieurs autres choſes, cõme de linge, de la filace, des andouilles, des iambons, des eſchinées, & autres menues choſettes. Quand ce vint le mardy d’apres Paſques en faiſant ſes recommandations, dont telles gens ne ſont point chiches, il diſt : Mes dames, ie ſuis tenu à vous rendre graces de la liberalité dont vous auez vsé enuers noſtre pauure conuent, mais ſi fault il que ie vous die que vous n’auez pas cõſideré les neceſsitéz que nous auons, car la plus part de ce que nous auez donné, ce ſont andouilles, & n’ous n’en auons point de faulte, Dieu mercy, noſtre couuent en eſt tout farcy, qu’en ferons nous donc de tant ? Sçauez vous quoy ? mes dames, ie ſuis d’aduis que vous meſliez voz iambons parmy noz andouilles, vous ferez belle aumoſne. Puis en continuant ſon ſermon, il feit venir le ſcandale à propos, & en diſcourant aſſez bruſquement par deſſus, auec quelques exemples, il ſe meit en grande admiration, dïſant : Eh dea meſsieurs & mes dames de ſainct Martin, ie m’esſtonne fort de vous, qui vous ſcandaliſez, pour moins que rien, & ſans propos, & tenez voz comptes de moy par tout, en diſant : C’eſt vn grand cas, mais qui l’euſt cuidé que le beau pere euſt engroſſy la fille de ſon hoſteſſe ? Vrayement, diſt il, voyla bien dequoy s’esbahir qu’vn moyne ait engroſſy vne fille : Mais venez ça belles dames, ne deuriez vous pas bien vous eſtonner d’auantage, ſi la fille auoit engroſſy le moyne ?

Voyla