Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/100

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LA I. IOVRNEE DES NOVVELLES

vous faire ſon deuoir à vn ſeruiteur, qui veult auoir par force ſa maiſtreſſe, à laquelle il doit toute reuerence & obeiſſance ? Saffredent print la parolle, & diſt : Madame, quãd noz maiſtreſſes tiennent leur rang en chambres ou en ſalles, aſsiſes à leur aiſe comme noz iuges, nous ſommes à genoulx deuant elles : & quand nous les menons dancer en crainte, & ſeruons ſi diligemment, que nous preuenons leur demande, nous ſemblons eſtre tant craintifs de les offenſer, & tant deſirans de les ſeruir, que ceulx qui nous voyent ont pitié de nous. Et bien ſouuent nous eſtiment plus ſots que beſtes, tranſportez d’entendement ou tranſiz, & donnent la gloire à noz dames, deſquelles les contenances ſont tant audacieuſes, & les parolles tant honneſtes, qu’elles ſe font craindre, aimer & eſtimer de ceulx qui ne voyent que le dehors. Mais quand nous ſommes à part, ou l’amour ſeul eſt iuge de noz contenances, nous ſçauons treſ-bien qu’elles ſont femmes, & nous hommes, & à l’heure le nom de maiſtreſſe, eſt conuerty en amye, & le nom de ſeruiteur en amy. C’eſt de là ou le prouerbe eſt dict : De bien ſeruir & loyal eſtre, de ſeruiteur on deuient maiſtre. Elles ont l’honneur autant que les hommes en peuuent donner & oſter : & voyans ce que nous endurons patiemment, c’eſt raiſon que noſtre ſouffrance ſoit recompenſée, quand l’honneur n’eſt point bleſſé. Vous ne parlez pas du vray honneur, diſt Longarine, qui eſt le contentement de ce monde : car quand tout le monde me diroit femme de bien, & ie ſcaurois ſeule le cõtraire, leur loüange augmenteroit ma honte, & me rendroit en moymeſmes plus confuſe. Et auſsi quand ils me blaſmeroient, & ie ſentiſſe mon innocence, le blaſme tourneroit en contentement : car nul n’eſt content que de ſoy-meſmes. Or quoy que vous ayez tout dict, diſt Guebron : il me ſemble qu’Amadour eſt vn autant honneſte & vertueux cheualier, qu’il en ſoit point : & veu que les noms ſont ſuppoſez, ie penſe le congnoiſtre : mais puis que Parlamẽte ne l’a voulu nommer, auſsi ne feray-ie. Et contentez vous que ſi c’eſt celuy que ie penſe, ſon cueur ne ſentit iamais nulle peur, ny ne fut iamais vuide d’amour ny de hardieſſe. Oiſille leur diſt : Il me ſemble que ceſte iournée c’eſt paſſée ſi ioyeuſemẽt, que ſi nous continuons ainſi les autres, nous

accourſi-