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[1559]
MÉMOIRES

Roys mes pere et frères, parent et familier amy des plus galantes et honnestes femmes de nostre temps, de la compagnie desquelles j’ay eu ce bon heur d’estre.

La liaison des choses précédentes avec celles des derniers temps me contrainct de commencer du temps du roy Charles, et au premier poinct où je me puisse ressouvenir y avoir eu quelque chose remarquable à ma vie par avant. Comme les geographes nous descrivant la terre, quand ils sont arrivez au dernier terme de leur cognoissance, disent : Au delà ce ne sont que deserts sablonneux, terres inhabitées, et mers non naviguées ; de mesme je diray n’y avoir au delà que le vague d’une premiere enfance, où nous vivons plustost guidez par la nature, à la façon des plantes et des animaux, que comme hommes regis et gouvernez par la raison ; et laisseray à ceux qui m’ont gouvernée en cet aage-là cette superflue recherche, où peut-estre, en ces enfantines actions, s’en trouveroit-il d’aussi dignes d’estre escrites, que celles de l’enfance de Themistocles et d’Alexandre, l’un s’exposant au milieu de la rue devant les pieds des chevaux d’un charretier qui ne s’estoit à sa priere voulu arrester, l’autre mesprisant l’honneur du prix de la course s’il ne le disputoit avec des Roys ; desquelles pourroit estre la repartie que je feis au Roy mon pere peu devant le miserable coup[1] qui priva la France de repos, et nostre maison de bon heur.

  1. C’est le coup qui donna la mort à Henri II dans un tournoi, le 10 juillet 1559.