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[1577]
MÉMOIRES

en poste me trouver chez moy à La Fere[1], qui fust un des grands contentemens que j’aye jamais receu, de voir personne chez moy que j’aimois et honorois tant ; où je mis peine de luy donner tous les plaisirs que je pensois luy pouvoir rendre ce sejour agreable : ce qui estoit si bien receu de luy ; qu’il eust volontiers dict comme saint Pierre : « Faisons icy nos tabernacles, » si le courage tout royal qu’il avoit et la generosité de son ame ne l’eussent appellé à choses plus grandes. La tranquillité de nostre cour, au prix de l’agitation de l’aultre d’où il partoit, luy rendoit tous les plaisirs qu’il y recepvoit si doux, qu’à toute heure il ne se pouvoit empescher de me dire : « O ! ma Royne, qu’il faict bon avec vous ! Mon Dieu, cette compagnie est un paradis comblé de toutes sortes de delices, et celle d’où je suis party, un enfer remply de toutes sortes de furies et tourmens. »

Nous passasmes pres de deux mois, qui ne nous feurent que deux petits jours, en cet heureux estat ; durant lequel, luy ayant rendu compte de ce que j’avois faict pour luy en mon voyage de Flandre, et des termes où j’avois mis ses affaires, il trouve fort bon que monsieur le comte de Montigny, frère du comte de Lalain, vinst resouldre avec luy des moyens qu’il y falloit tenir, et pour, prendre aussy asseurance de leur volonté, et eux de la sienne.

  1. « Monsieur, frère du Roy, arriva à Paris…, d’où il partit le samedi 12 (octobre 1577), pour aller à La Fère, en Picardie, veoir la roine de Navarre, sa seur. » (Lestoile, Journal de Henri III.)