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MÉMOIRES

veroient fort mauvais la réception qu’ils m’avoient faicte ; oyans nommer monsieur de Lalain, ils se changerent tous, et luy porterent tous plus de respect qu’à tous les roys à qui j’appartenois. Le plus vieil d’entre eulx me demande, en se sousriant et beguaiant, si j’estois donc amye de monsieur le comte de Lalain ; et moy, voyant que sa parenté me servoit plus que celle de tous les potentats de la chrestienté, je luy responds : « Ouy, je suis son amie et sa parente aussi. » Lors ils me font la reverence et me baisent la main, et m’offrent autant de courtoisie comme ils m’avoient faict d’insolence, me priants de les excuser, et me promettants qu’ils ne demanderoient rien à ce bon homme de grand maistre, et qu’ils le laisseroient sortir avec moy.

Le matin venu, comme je voulois aller à la messe, l’agent que le Roy tenoit aupres de dom Juan, nommé Du Bois, lequel estoit fort Espaignol, arrive, me disant qu’il avoit des lettres du Roy pour me venir trouver et me conduire seurement à mon retour ; qu’à cette cause, il avoit prié dom Juan de luy bailler Barlemont avec une trouppe de cavallerie, pour me faire escorte et me mener seurement à Namur, et qu’il falloit que je priasse ceux de la ville de laisser entrer monsieur de Barlemont, qui estoit seigneur du païs, et sa trouppe, afin qu’il me peust conduire ; ce qu’ils faisoient à double fin : l’une, pour se saisir de la ville pour dom Juan, et l’autre pour me faire tomber entre les mains de l’Espaignol. Je me trouvay lors en fort grande peine. Le communiquant à monsieur le cardinal de Lenoncourt, qui n’avoit pas envie de tomber entre les mains de l’Es-