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MÉMOIRES

rigueurs de sa mere. A Namur, le marquis de Varembon et le jeune Balançon son frere s’y trouverent, comme j’ay dit. Le jeune de Balançon, qui n’estoit pas de beaucoup si agreable que l’aultre, acoste cette fille, la recherche ; et le marquis de Varembon, tant que nous fusmes à Namur, ne faict pas seulement semblant de la congnoistre. Le despit, le regret, l’ennuy luy serre tellement le cœur (elle s’estant contrainte de faire bonne mine tant qu’il fust present, sans monstrer s’en soucier), que, soudain qu’ilz furent hors du batteau où il nous dirent à Dieu, elle se trouve tellement saisie, qu’elle ne peust plus respirer qu’en criant et avec des douleurs mortelles. N’ayant nulle aultre cause de son mal, la jeunesse combat huict ou dix jours la mort, qui, armée de despit, se rend enfin victorieuse, la ravissant à sa mere et à moy, qui n’en fismes moins de deuil l’une que l’aultre ; car sa mere, bien qu’elle fust fort rude, l’aymoit uniquement.

Ses funerailles estans commandées les plus honnorables qu’il se pouvoit faire, pour estre de grande maison comme elle estoit, mesme appartenant à la Royne ma mere ; le jour venu de son enterrement, l’on ordonne quatre gentils-hommes des miens, pour porter le corps ; l’un desquels estoit la Boessiere[1], qui l’avoit durant sa vie passionnément adorée sans le luy avoir osé descouvrir, pour la vertu qu’il congnoissoit en elle et pour l’inegalité ; qui lors alloit portant ce mortel faix, et mourant autant de fois de sa mort, qu’il estoit mort de son amour. Ce funeste convoy estant au

  1. Bussière.