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DE MARGUERITE DE VALOIS.

mere luy accorde ; et y ayant demeuré quelques années en se faisant agréable et aimable (car elle l’estoit plus que belle, sa principale beauté estant la vertu et la grace), monsieur le marquis de Varembon, de qui j’ay parlé cy-devant, lequel estoit lors destiné à estre d’eglise, demeurant avec son frère monsieur de Balançon en mesme maison, devint, par l’ordinaire frequentation qu’il avoit avec madamoiselle de Tournon, fort amoureux d’elle ; et, n’estant point obligé à l’eglise, il desire l’espouser. Il en parle aux parens d’elle et de luy. Ceux du costé d’elle le trouverent bon ; mais son frere monsieur de Balançon, estimant plus utile qu’il fust d’eglise, faict tant qu’il empesche cela, s’opiniastrant à luy faire prendre la robbe longue. Madame de Tournon, tres-sage et tres-prudente femme, s’offensant de cela, osta sa fille, madamoiselle de Tournon, d’avec sa sœur madame de Balançon, et la reprend avec elle ; et, comme elle estoit femme un peu terrible et rude, sans avoir esgard que cette fille estoit grande et meritoit un plus doux traictement, elle la gourmande et crie sans cesse, ne luy laissant presque jamais l’œil sec, bien qu’elle ne fist nulle action qui ne fut tres-louable ; mais c’estoit la severité naturelle de sa mere. Elle, ne souhaittant que de se voir hors de cette tyrannie, receust une extrême joye quand elle vid que j’allois en Flandres, pensant bien que le marquis de Varembon s’y trouveroit, comme il fist, et qu’estant lors en estat de se marier, ayant du tout quicté la robbe longue, il la demanderoit à sa mere, et que par le moien de ce mariage elle se trouveroit delivrée des