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MÉMOIRES

batteaux où je debvois aller par la rivière de Meuse jusques à Liege ne pouvants estre si-tost prests, je fus contrainte de séjourner le lendemain, où, ayants passé toute la matinée comme le jour de devant, l’apres-disnée nous mettants dans un tres-beau batteau, sur la riviere, environné d’aultres batteaux pleins de haults-bois, cornets et violons, nous abordasmes en une isle, où dom Juan avoit faict apprester le festin, dans une belle salle faicte expres de lierre, accommodée de cabinets autour remplis de musicque et haults-bois et autres instruments, qui dura tout le long du soupper. Les tables levées, le bal ayant duré quelques heures, nous nous en retournasmes dans le mesme batteau qui nous avoit conduict jusques-là, et lequel dom Juan m’avoit faict preparer pour mon voiage.

Le matin voulant partir, dom Juan m’accompagne jusques dans le batteau, et, apres un honneste et courtois à Dieu, il me baille pour m’accompaigner jusques à Huy, où j’allois coucher, première ville de la terre de l’evesque de Liege, monsieur et madame d’Havrech. Dom Juan sorty, monsieur d’Inchy, qui demeura là le dernier dans le batteau, et n’avoit congé de son maistre

    voyait la reine de Navarre. L’année précédente, il avait passé par la France en se rendant de Milan en Flandre, pour prendre le gouvernement de cette province. Il avait paru à la cour, dans une de ces fêtes que la Reine mère aimait tant ; mais, à son grand regret, il y avait paru incognito et travesti en maure. Il avait admiré la rare beauté de Marguerite, qu’il mettait au-dessus de celle des Italiennes et des Espagnoles, ajoutant que, « combien que la beauté de cette Reine fut plus divine qu’humaine, elle était plus pour perdre et damner les hommes que pour les sauver. » (Brantôme, Éloge de Marguerite de France.)