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MÉMOIRES

nullement de ceste naturelle rusticité qui semble estre propre aux Flamans. L’evesque nous fist festin, et nous donna apres soupper le plaisir du bal, où il fist venir toutes les dames de la ville ; auquel ne se trouvant, et s’estant retiré soudain apres soupper, pour estre, comme j’ay dict, d’humeur cerimonieuse espagnole, monsieur d’Ainsi estant le plus apparent de sa trouppe, il le laissa pour m’entretenir durant le bal, et pour apres me mener à la collation de confitures, imprudemment, ce me semble, veu qu’il avoit la charge de la citadelle. J’en parle trop sçavante à mes despens, pour avoir plus appris que je n’en desirerois comme il se faut comporter à la garde d’une place forte[1].

La souvenance de mon frere ne me partant jamais de l’esprit, pour n’affectionner rien tant que luy, je me ressouvins lors des instructions qu’il m’avoit données, et voyant la belle occasion qui m’estoit offerte pour luy faire un bon service en son entreprise de Flandres, cette ville de Cambray et cette citadelle en estans comme la clef, je ne la laissay perdre, et employay tout ce que Dieu m’avoit donné d’esprit à rendre monsieur d’Ainsi affectionné à la France, et particulièrement à mon frere. Dieu permit qu’il me reussit si bien que, se plaisant en mon discours, il

  1. Cette observation est d’une rare modestie. Marguerite savait à merveille comme il se faut comporter pour garder une place forte et même pour la prendre. La manière dont elle s’empara du château d’Usson, et dont elle s’y maintint pendant dix-neuf ans, fait beaucoup d’honneur à son habileté. (Voyez Brantôme, Dames illustres, éloge de Marguerite.}