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Je quitte le harem


Nous nous mettons hors de la vie de ces gens puisque mon bain est un péché. Le sable est tellement chaud qu’on ne peut y poser les pieds sans se brûler atrocement, et nous courons nous tremper dans ce divin péché.

À deux cents mètres une raie d’écume que font les vagues en se brisant sur les bancs de coraux, lagune naturelle entre les récifs et la plage, délimite notre baignoire où nous sommes à l’abri des requins.

L’eau est d’une telle transparence que les lacs blancs ou verts, fameux pour leurs eaux si pures, sembleraient bourbeux à côté de ce cristal. Bientôt le tapis multicolore du fond n’a plus de secret pour nous. Nous jouons avec les énormes éponges qui tapissent le sable. Nous faisons un concours de vitesse sur d’énormes coquillages nacrés, ce qui nous fait ressembler à quelques figurants d’une revue au Casino de Paris.

Nous terminons cet après-midi de vacances par un interminable bain de soleil. Puis cette hallucinante promenade recommence en sens inverse, les mêmes mirages redéfilent. La réverbération est si forte que l’on voit des ondulations d’air brûlant sur le sol. Nous retrouvons enfin la voiture, toujours sans chauffeur. Nous nous asseyons sur les coussins, résignés. Au bout d’une heure nous apercevons à l’horizon une automobile dans un nuage de poussière de sable jaune. Est-ce une mirage ou une réalité ? La vision se précise et nous voyons arriver une voiture chargée de Bédouins, parmi lesquels se trouve notre chauffeur.


Architecture du Hedjaz. Moucharabiehs en bois des îles sur des maisons de Djeddah

Nous rentrons à Djeddah exténués, je suis brûlante de la fièvre que me cause d’horribles coups de soleil.

Sett Kébir me regarde consternée en constatant la punition que m’inflige Allah pour avoir violé, une fois de plus, ses préceptes sacrés.

À mon retour au harem Soleiman, disparu depuis deux jours, me fait immédiatement appeler pour me sermonner.

— Le roi, me dit-il, m’a fait venir au palais pour me reprocher ta conduite. Il a appris que tu as été danser sur les bateaux des nosranis et trouve que cette conduite est indigne d’une bonne musulmane.

Je lui réponds, furieuse :

— Tu n’avais qu’à lui dire que c’est de sa faute, qu’il ne tient qu’à lui de faire cesser tous ces scandales en nous donnant vite la permission de partir, au lieu de me retenir prisonnière ici.

Cependant, le désarroi de Soleiman est tel que je me sens conciliante et je promets à mon mari de ne plus recommencer. Je veux aboutir.

Le lendemain matin Soleiman vient m’apprendre que le roi m’accorde la permission d’aller à Oneiza et à Médine, mais que pour me laisser passer par La Mecque, il avait convoqué l’assemblée des Ulénas, qui devait décider. Je me méfie tellement de mon mari, qui m’a si souvent leurrée de faux espoirs que je ne veux le croire.

Comme j’ai promis à Soleiman de ne plus sortir, je téléphone à mes amis du consulat de venir prendre le thé chez Alli Allmari. J’avoue naïvement que je ne pensais pas si mal faire, je craignais bien de les choquer un peu, mais enfin je n’en étais plus à une fantaisie près.

Le lendemain M. M… arrive, me rapportant un bracelet-montre que j’avais laissé au consulat pour le faire arranger. Je lui demande de bien vouloir me chercher du papier à lettre, de l’encre et une plume pour écrire à ma famille, à laquelle je n’ai pu encore donner aucune nouvelle puisqu’il n’y a pas eu de courrier partant de Djeddah.

Il revint au bout d’un instant porteur d’un écritoire complet.

Chaque appel de Zeïnab met le harem en émoi. Aussi une troisième visite, le soir pour le thé, provoque un vrai scandale. Quoique considérée comme un être à part, de qui on tolère mille exceptions, cette intrusion avait dépassé la limite des passe-droits.

Ali Allmari arrive immédiatement après le départ de M… dans un état de colère effroyable, hurlant que je souillais sa maison en recevant des nosranis[1].

Le voyant dans un tel état je me rends bien compte que rien ne pourra le calmer et je l’arrête au beau milieu de ses imprécations en lui disant :

— Tu n’as pas besoin de faire tant de bruit, je quitterai ta maison demain.

La soirée se passe dans un silence lugubre. Nous parlons à peine, accroupies et occupées à coudre autour des petites lanternes.

Au fond je suis ravie de cet incident qui me permet de trouver un prétexte pour sortir de ce harem dans lequel je vis recluse.

Le lendemain matin, malgré les supplications des femmes du harem, je me préparais à un départ définitif, tout en regrettant sincèrement certaines de ces femmes.

Sett Kébir, voyant ma résolution inébranlable, m’indiqua en pleurant une chambre dans les souks qui, suivant ses dires, devait être très convenable.

Vers 9 heures nous prenons un dernier petit déjeuner ensemble, dans une atmosphère de famille endeuillée, toutes les femmes me comblent de gâteries et de protestations d’amitié.

Tout à coup j’entends la voix de Soleiman appelant Zeïnab dans l’escalier. Je le trouve sur le palier, l’air très mécontent, il ne me donne pas la poignée de main à laquelle je l’avais habitué et me hurle :

— Fais tes paquets, nous partons.

Je lui réponds d’un petit air dégagé :

— Je suis ravie, j’avais décidé de partir ce matin.

De plus en plus furieux il me réplique :

— Et où veux-tu aller ?

— Sett Kébir connaît une chambre très bien dans les souks où je pourrai me loger.

— Je n’ai besoin des conseils de personne et encore moins de ceux de Sett Kébir, me répond-il au paroxisme de la colère, tu viendras chez moi, dans ma maison.

Je remonte en courant faire ma valise, et au bout d’une demi-heure je redescends après avoir embrassé toutes les femmes et juré à Sett Kébir que je reviendrai la voir tous les jours. Arrivée dans le hall, pas de Soleiman, je demande aux esclaves s’ils ont vu mon mari.

— Il est parti chercher une maison, disent-ils.

— Chercher une maison ? Je ne comprends plus. Ne venait-il pas de me dire qu’il m’emmenait dans la sienne ?

Je remonte en courant prévenir Sett Kébir et lui demander une esclave pour me faire conduire à la chambre qu’elle me propose. Nous allons en hâte aux souks, où, malheureusement, tout est loué. Ne sachant que faire je renvoie l’esclave et je vais au consulat demander s’il n’y a pas un hôtel. Il se trouve qu’il y a justement une maison qui vient de s’ouvrir en se glorifiant de ce nom. Le fils du consul s’offre aimablement à m’accompagner. Nous essuyons dans la rue des regards courroucés, une femme musulmane se promenant à côté d’un Européen, il y avait de quoi défrayer la chronique locale. Mais tant pis.


(À suivre.)
MARGA D’ANDURAIN.


  1. Chrétiens.

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