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ÉPISODES BÉDOUINS

Aussitôt on presse l’accélérateur, chacun arme son fusil, c’est un moment de confusion dans l’auto qui bondit de plus belle, au mépris des mottes et des touffes d’herbes desséchées. À cent dix à l’heure on arrive au milieu du troupeau, et les bêtes légères se lancent dans une fuite éperdue, leurs fines jambes paraissent les porter à peine, elles volent, sans nous quitter jamais de leurs immenses yeux noirs pathétiques. Mais pas de pitié, on tire. Leur courte queue noire est comme une cible, au milieu de leurs fesses blanches. Plusieurs sont blessées, mais ne veulent pas quitter le troupeau. Ce n’est que complètement épuisées qu’elles tombent. On continue de poursuivre, de tirer, jusqu’à ce qu’on ne voie plus rien à l’horizon.

Un vieux mâle court encore ; une de ses pattes cassée, presque coupée par une balle, semble ne plus tenir que par un tendon, mais il court toujours, perdant son sang. Je sens mon cœur se serrer un instant. Je voudrais qu’on l’achève. Mais on lui casse une autre patte et il repart pour tomber enfin. Il lève ses grands yeux noirs, et dans l’excitation du massacre, nous accourons pour lui couper la gorge, selon le rite arabe, puis nous revenons sur nos traces pour ramasser sur la piste la quarantaine de victimes que nous y avons semées. D’autres bêtes, sans doute, ont pu fuir et, blessées à mort, sont allées dans quelque coin du désert se faire dévorer par les renards, les hyènes et les chacals.

Mais le soir vient. On a trop faim pour attendre le retour au campement, et ce n’est pas le gibier qui manque.

On dépèce quelques gazelles. Un bidon d’essence promptement flambé fera la casserole, et le crottin de chameau fera le meilleur des combustibles. Les quartiers de gazelle sont rôtis dans leur propre